Esclaves travaillant dans une plantation de tabac, détail d'une peinture de 1670 (domaine public).

Vingt Décembre : La Réunion au temps de l’abolition

Vingt Décembre : Chroniques de l’abolition est un roman graphique bien documenté qui plonge le lecteur dans une période charnière de l’histoire de l’île de la Réunion – celle qui précède et suit immédiatement le 20 décembre 1848, date de l’abolition officielle de l’esclavage sur le territoire. C’est aussi un hommage à un jeune héros oublié, Edmond Albius, un esclave qui fut le premier à découvrir le procédé de pollinisation de la vanille à l’âge de douze ans.

Comprendre un moment de basculement

Quelques semaines après la Révolution de 1848, le gouvernement de la Deuxième République proclame l’abolition de l’esclavage. Si cette date marque un moment clé dans l’histoire de France et plus généralement dans la lente avancée des droits humains, ses aspects pratiques sont rarement évoqués. Comment l’émancipation des esclaves a-t-elle été mise en place ? Le changement s’est-il effectué du jour au lendemain ou progressivement ? Pacifiquement ou dans le sang ? Pour répondre à ces questions, l’auteur Apollo et le dessinateur Tehem se sont plongés dans les archives de la Réunion – un territoire qu’ils connaissent intimement tous les deux pour y avoir grandi.

Vingt Décembre est le résultat de leurs recherches. Si l’album est avant tout une fiction historique, il offre aux lecteurs une exploration très intéressante de différents aspects de la fin de l’esclavage. Les cinq chapitres, complétés d’une annexe historique très bien faite, évoquent les destins de plusieurs individus directement touchés par ce grand bouleversement politique, culturel, économique et social.

Edmond, un jeune esclave passionné de botanique

Au premier rang de ces individus, le jeune Edmond Albius est un personnage ayant vraiment existé. Initié à la botanique par son maître Ferréol Bellier-Beaumont, il découvre comment polliniser la vanille de manière artificielle pour produire des gousses alors qu’il n’a que douze ans. Son maître lui accordera le crédit de cette découverte, mais son statut d’esclave l’empêchera d’en tirer profit. L’abolition de l’esclavage quelques années plus tard ne lui permettra pas de mettre à profit ses talents pour améliorer sa condition.

En faisant d’Edmond un personnage d’éternel optimiste très attachant, Apollo donne à son récit une tonalité très humaine et parfois drôle, malgré la violence et la dureté du propos. Les dessins de Tehem, aux traits arrondis et à la palette de couleurs très variée, participent de ce désir d’éviter tout misérabilisme.

D’autres destins hors du commun

En contrepoint aux difficultés d’Edmond à trouver sa place dans la Réunion post-abolition, le personnage de Makouta – vraisemblablement fictif – offre une sorte de catharsis en figurant le désir de vengeance des anciens esclaves face à la préservation des intérêts des anciens maîtres et trafiquants. Le lecteur découvre aussi le sort réservé aux « marrons », ces esclaves fugitifs vivant dans les montagnes, ou encore la réaction des « petits blancs » à l’annonce de l’abolition :

Eux n’avaient rien, ni terres, ni biens, ni esclaves, mais au moins, pensaient-ils , ils avaient la bonne couleur. Or la couleur, avec la révolution qui arrivait de France n’allait bientôt plus rien vouloir dire.

Vingt Décembre, enfin, est aussi un hommage à des précurseurs de la bande dessinée moderne : les lithographes Poussin et Potémont, dont le premier a réalisé le seul portrait connu d’Edmond Albius. Si leurs personnages restent assez secondaires, l’intégration dans la BD de certaines de leurs lithographies permet de comprendre l’importance que la circulation que ces images à l’humour caustique ont pu avoir sur les représentations de leurs contemporains.

Article original paru dans Le Suricate

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.