Photo de l'inscription "arbeit macht frei" dans un ancien camp de concentration de la seconde guerre mondiale

Le cabaret des mémoires, un jeune père hanté par l’histoire familiale

Comment transmettre la mémoire de la Shoah à un enfant qui naît au XXIe siècle et qui n’aura connu aucun des rescapés des camps de concentration ? C’est la question que se pose Samuel, qui vient d’être papa d’un petit garçon. Hanté par le destin de sa grand-tante Rosa, la sœur de son grand-père, survivante d’Auschwitz, il plonge dans ses souvenirs d’enfance pour chercher ce qui relie son fils aux générations précédentes. Plus que tout, il désire s’assurer que la génération suivante n’oubliera pas, elle non plus.

Un monologue comme un rêve éveillé

Le cabaret des mémoires est un roman très court (moins de 150 pages) qui se lit presque d’une traite. Écrit en grande partie à la première personne, il met en scène Samuel, français et juif, dont la femme vient d’accoucher d’un petit garçon. Alors qu’il se prépare à aller les chercher à la maternité, il revit en flashbacks trois moments clés de son histoire familiale, qu’il évoque par bribes, en alternance.

Il y a tout d’abord l’histoire de Rosa, la grand-tante émigrée aux États-Unis après l’enfer des camps. Fondatrice d’un cabaret en plein milieu du désert texan, son destin hors du commun attise l’admiration et la curiosité des membres de sa famille restés en France, dont le petit Samuel.

Il y a ensuite le souvenir des jeux d’enfants entre Samuel, sa sœur Tania et son cousin Michaël, lors de leurs vacances dans les Vosges. Déguisés en cow-boys, ils rêvent d’aventures dans les grands espaces. Le cabaret de Rosa, objet de fantasmes, est l’objectif ultime de leurs pérégrinations imaginaires dans le désert.

Il y a enfin la rencontre de Samuel avec Léna, sa femme, lors d’un camp de jeunesse. Un amour qui l’apaise tout en lui donnant envie de poursuivre la transmission du souvenir de Rosa à ses descendants.

La victoire de la vie

L’obsession de Samuel peut paraître étrange alors que lui-même a à peine connu Rosa et qu’il s’apprête à accueillir un bébé qui aura besoin de plusieurs années avant de pouvoir faire sens du récit de ses aïeux. L’alternance de courts chapitres qui alternent entre plusieurs lignes du temps donne son rythme au roman dont le ton introspectif reprend régulièrement, comme une litanie, des éléments d’une prière juive (« Quand demain reviendra la lumière,… »).

Si le personnage de Rosa fascine le lecteur aussi bien que ses descendants, c’est parce qu’elle symbolise la victoire de la vie sur la mort, mais aussi le caractère indicible de la violence et la difficulté de résister à l’injonction de témoigner « pour les autres ». En s’expatriant, Rosa prend de la distance avec un passé traumatique imprégné d’un fort sentiment de culpabilité. D’un autre côté, elle choisit de raconter une partie de son histoire dans son spectacle de cabaret, pour perpétuer le souvenir des seins, morts dans les atrocités de la Seconde guerre mondiale.

Le narrateur, Samuel, est nettement moins attachant. On regrette que sa psychologie et sa vie d’adulte ne soient pas développées pour mieux comprendre sa relation complexe au passé familial. Je crois que j’aurais trouvé l’évocation de ses souvenirs d’enfance plus touchante s’il avait davantage évoqué son amour pour son fils et l’avenir qu’il imagine pour sa famille… une autre forme de victoire de la vie sur la mort.

Merci à NetGalley et aux éditions Grasset de m’avoir permis de découvrir ce livre avant sa publication officielle le 24 août 2022.

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