Née à Lyon où elle vit toujours, Chloé Dubreuil publie son premier roman, Vertige d’un ailleurs, en 1998. Elle a plusieurs romans historiques à son actif, avec une prédilection particulière pour le Moyen Âge (L’Insoumise, Fortunae, L’Esprit du Graal). Elle nous parle ici de son dernier roman, Le Faiseur de diables, paru en avril 2023. Un ouvrage à mi-chemin entre le roman noir et le polar historique.
La couverture de votre roman est un détail du tableau Le jugement dernier de Jérôme Bosch. Dans quelle mesure cette œuvre a-t-elle influencé le sujet du roman ? Pourquoi l’avoir choisie ?
Ce n’est pas tant Le jugement dernier qui a inspiré l’intrigue de mon roman que l’univers particulièrement fantasmagorique du peintre. Maintenant, vous me direz, pourquoi ce tableau plutôt qu’un autre de Jérôme Bosch ? Le jugement dernier est une notion à laquelle fait référence mon personnage principal par deux fois dans le roman. Elle a du sens pour lui, et reflète les considérations qu’il porte sur le monde et ses semblables. Le choix de ce tableau en couverture n’est donc pas anecdotique.
Le Faiseur de diable se déroule au temps des primitifs flamands. Cette période est souvent associée à un âge d’or artistique pour les Pays-Bas. Pourtant, vous choisissez d’évoquer des crimes sordides dans une ambiance très sombre. Comment expliquer un tel contraste ?
La peinture des primitifs flamands a une forte connotation religieuse – regardez les Van Eyck – quand elle ne porte pas sur la vie sociale comme les tableaux de Brueghel l’Ancien. Nous sommes aux débuts de la Renaissance, aux prémices de la Réforme protestante. Le Nouveau monde vient d’être découvert, l’Église se déchire, les Pays-Bas de même, partagés entre ceux qui soutiennent le Saint Empire romain germanique et ceux qui regardent du côté de la France. La guerre civile est encore dans tous les esprits. C’est dans une société en plein bouleversement, encore fort éprise de superstition médiévale, une société pleine de peurs et de questionnements, que s’inscrit mon roman.
L’œuvre de Jérôme Bosch est unique : elle nous plonge avec férocité et sublimité dans les travers de l’Homme. Elle est un miroir tendu à nos vices et perversions, tout en essayant de nous montrer, symboliquement, le chemin à suivre pour nous en extraire. Bref, la peinture de Bosch se prête tout à fait au genre noir. Le Faiseur de diables n’avait plus qu’à se couler dans le moule de cette époque qui aspirait à un renouveau culturel, politique, et moral, sans pour autant parvenir à se débarrasser des terreurs du passé.
Qui est votre personnage principal, Arent Saeghers ? Est-il inspiré d’un personnage réel ?
Aucunement. Arent Saghers est un personnage comme je les aime : qui se tient sur le fil de la déraison, plein de force et pétri de fragilités. Ambigu, tourmenté. Un personnage des plus humains en sorte…
Au début du XVIe siècle, à quoi ressemblait la vie quotidienne à Bois-le-Duc, la ville natale de Bosch, loin de la Cour de Bruxelles ?
C’était une cité de moyenne envergure, inféodée au commerce, et à ses richesses. Les bourgeois et clercs avaient force de loi. Bois-le-Duc était une ville florissante, la population vivait plutôt bien.
Quelle place ont les recherches historiques dans votre travail d’écriture ? Quelles libertés vous êtes-vous accordées par rapport aux faits connus ?
J’aime que mes lecteurs puissent avoir confiance en ce qu’ils lisent. Je suis donc très attachée à raconter la grande histoire à travers la petite, à user de figures historiques en personnages secondaires. Les éléments relatifs au cadre de vie, à l’entour politique et social, ne sont pas fictionnels. Je passe toujours du temps en bibliothèque et sur internet avant de commencer à écrire mes romans historiques. Au cours de l’écriture elle-même, je vérifie constamment les détails. Mais je garde ma pleine liberté pour ce qui est de l’intrigue et de mes protagonistes principaux. J’ai besoin de laisser mon imagination vagabonder, composer selon ses envies. Je répète souvent à mes étudiants que la liberté est la qualité première de la fiction. Je ne pourrais continuer à écrire sans elle.
En quoi Le Faiseur de diable se distingue-t-il de vos autres romans « médiévaux » ? Allez-vous continuer à écrire sur cette période ?
Mes autres romans historiques ne sont pas des polars, romans noirs, mais plutôt de grandes fresques aventureuses – j’adore ce genre. Actuellement, je travaille sur des « mémoires » de Gilles de Rais, l’un des plus fameux compagnons de Jeanne d’Arc et, accessoirement, le premier « tueur en série » de l’Histoire française. Un roman écrit au « je », comme je l’ai déjà fait pour Yeshoua et Eva Braun. Voilà un défi comme je les aime.