Averroès réprésenté dans Le Triomphe de St Thomas d’Andrea di Bonaiuto, Chapelle espagnole, Basilique de Santa Maria Novella, Florence, 1365-68 (détail).

Averroès ou le secrétaire du diable

Couverture du roman « Averroès ou le secrétaire du diable » de Gilbert Sinoué (Fayard, 2017)

Gilbert Sinoué est un auteur prolifique dont les romans historiques connaissent un grand succès auprès du public francophone. Il étant donc temps que je le découvre ! Averroès ou le secrétaire du diable, publié en 2017, est une biographie romancée d’Ibn Rochd, également connu sous le nom d’Averroès, un grand penseur musulman du XIIe siècle.

Des mémoires apocryphes

Comme dans les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar ou encore Le grand Cœur de Jean-Christophe Rufin, l’auteur choisit de faire parler son personnage à la première personne, comme si celui-ci faisait le bilan de sa vie. Cela permet de s’attacher immédiatement au narrateur, dont les pensées et les sentiments sont ceux d’un érudit épris de liberté.

Né en 1126 à Cordoue, Averroès est un arabe musulman d’Al-Andalus. Issu d’une lignée de cadis (des juges dans la tradition musulmane), il excelle dans l’étude de la jurisprudence mais se passionne aussi pour la philosophie, la médecine et l’astronomie. Très fortement influencé par les travaux d’Aristote, il cherche à réconcilier religion et philosophie en interprétant les textes de l’Islam à la lueur des idées du penseur grec. Il estime par exemple qu’il n’y a jamais eu de premier homme et que l’âme périt en même temps que le corps – des idées considérées par beaucoup comme des hérésies, non seulement en terre d’Islam mais aussi au sein du judaïsme et de la chrétienté.

Un personnage à la fois sulfureux et conformiste

Si Averroès doit son surnom de « secrétaire du diable » à ses idées peu conformes à la tradition islamique, il est aussi paradoxalement accusé d’avoir renié ses propres principes en se mettant au service des Almohades, la dynastie de califes qui prend le relais des Almoravides en 1147 et dont le fanatisme religieux mène à la persécution des juifs et des chrétiens qui vivaient jusque-là en bonne entente avec les musulmans.

Le roman évoque les raisons probables de cette ambiguïté tout en dévoilant ce qui fait d’Averroès un penseur de l’ »Islam des lumières » : une approche tolérante et rationaliste, d’après laquelle :

Le Coran est un texte où se lit un projet de connaissance, non pas au sens où l’on y puiserait le savoir, mais au sens où on y trouve une injonction à connaître. La Révélation nous appelle à réfléchir en faisant usage de la raison.

En plus d’offrir un bon moment de fiction, Averroès ou le secrétaire du diable est donc aussi une introduction passionnante sur les liens entre religion et philosophie au sein de l’Islam et sur le destin des savants arabes du XXIIe siècle, qu’il soit musulman comme Averroès ou juif comme Moshe ben Maïmon.

J’ai aimé…

  • l‘évocation de l’Andalousie musulmane et notamment de la place que les femmes y occupait, à travers les personnage de Lobna et de sa femme.
  • l’utilisation de fast forward, c’est-à-dire de courts chapitres qui constituent des sauts dans le futur, pour montrer l’influence d’Averroès après sa mort, principalement sur les penseurs chrétiens.

J’aurais aimé…

  • en savoir plus sur la façon dont ses théories sont perçues aujourd’hui au sein des différentes branches du monde islamique. Il semble que les textes d’Averroès aient été redécouverts au XIXe siècle pendant la Nahda, la Renaissance arabe, mais le roman s’intéresse surtout à l’héritage d’Averroès dans la pensée chrétienne. Toutefois, on ne peut pas en faire reproche à l’auteur et cette analyse va bien-au-delà de ce qu’on peut attendre d’un roman historique !

Bonus

En juin 2020, Frank Ferrand a reçu Gilbert Sinoué dans son émission « Au cœur de l’histoire » pour parler d’Averroès ou le secrétaire du diable.

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