Avec Suites algériennes, Jacques Ferrandez lance une nouvelle série de bandes dessinées sur l’Algérie postcoloniale, de 1962 à nos jours. Un récit multiple et critique qui mêle astucieusement la petite et la grande Histoire.
Les questionnements d’un journaliste sur l’Algérie contemporaine
Né à Alger en 1955, Jacques Ferrandez a déjà publié deux bandes dessinées remarquées sur l’Algérie coloniale, Carnets d’Orient, sur la période 1830-1954, et Carnets d’Algérie, sur la conquête par les Algériens de leur indépendance en 1954-1962. Dans Suites algériennes, il s’attaque à l’histoire de l’Algérie contemporaine à partir de 1962. À travers le personnage fictif de Paul-Yanis, un reporter français, fils d’une Algérienne et d’un pied-noir, l’auteur évoque ses propres voyages dans son pays de naissance. Des idéaux socialistes des premières années aux mouvements populaires anti-régime du Hirak en 2019, il s’interroge sur les tenants et les aboutissants des grands événements qui ont marqué la politique algérienne contemporaine.
Les dessins, très colorés et lumineux, décrivent avec précision les rues d’Alger à différentes époques, tout en mettant l’accent sur les visages. Car ce sont bien les personnages et leurs dialogues qui sont au centre de l’album.
Une galerie de portraits qui confronte les points de vue
Au lieu d’un récit unitaire et chronologique, Ferrandez fait le choix d’allers-retours dans le temps avec des chapitres-portraits offrant différents points de vue : celui de Paul-Yanis, le reporter, mais aussi celui de Noémie, la pied-noir nostalgique, de Samia, l’algérienne exilée en France, d’Hakim, le jeune soldat désillusionné, ou encore de Mathilde, la « pied rouge » idéaliste… Le résultat fonctionne très bien et permet d’appréhender les évènements à travers le prisme de l’intime, chaque individu ayant une relation unique avec le pays. Une relation qui mêle souvent amour et haine.
Tout en offrant une vision forcément subjective de la période postindépendance, Suites algériennes a l’avantage de confronter les points de vue et de ne pas occulter la dimension émotionnelle de l’histoire tendue entre l’Algérie et la France. Le deuxième tome devrait aborder les années de plomb ayant fait suite à l’annulation des élections de 1991. On espère que, comme le premier, il apportera un éclairage intéressant sur les enjeux particulièrement complexes qui, aujourd’hui encore, influencent la relation des Algériens avec leur pays.
Article original publié dans Le Suricate Magazine