Dans le premier tome de sa trilogie familiale Le Pays des autres, Leïla Slimani racontait la rencontre de ses grands-parents Amine et Mathilde, leur mariage, leur installation dans une ferme au Maroc, et la naissance de leur deux enfants, Aïcha et Selim. Dans le deuxième tome, Regardez-nous danser, c’est Aïcha qui devient le personnage principal. Nous ne sommes plus dans la période de l’après-guerre mais dans les années 1960. La petite fille métisse est devenue une jeune étudiante en médecine : après une enfance au Maroc, elle découverte l’université en France et vit ses premiers émois.
Devenir une femme
Enfant timide et solitaire, Aïcha découvre la vie adulte alors qu’elle poursuit de brillantes études de médecine à Strasbourg. Bûcheuse, elle sort peu et n’a pas de véritable conscience politique, à l’opposé de nombreux étudiants engagés dans les mouvements révolutionnaires et anticolonialistes à l’origine des manifestations de mai 1968. Bien qu’elle se sente toujours « différente », elle trouve peu à peu sa place et rencontre Mehdi, un jeune marocain idéaliste, épris de littérature, qui tombe fou amoureux d’elle et la demande en mariage.
Mais après la passion des premiers jours, Medhi se révèle plus traditionnel que prévu et n’apprécie pas que sa femme exerce comme gynécologue. Comme sa mère Mathilde, Aïcha souffre du machisme de son compagnon qui a honte d’être vu un panier de courses à la main et qui trouve les histoires de bonne femme « inintéressantes » et « répugnantes ». La scène lors de laquelle Amine va chercher sa fille à l’aéroport après quatre ans d’absence et s’apprête à la draguer avant de la reconnaître est particulièrement emblématique cette masculinité toxique qui pourrit non seulement les relations de couple, mais aussi les relations parents-enfants…
Envers sa fille comme envers sa femme, Amine oscille entre honte et admiration, fierté et répulsion :
Il avait ce visage, le visage d’avant les coups, les accès de fureur, les hurlements. Il fit un geste agacé de la main qui voulait dire : « Retourne dans la queue, pauvre idiote. »
Il ne le confia jamais à personne, mais s’il avait accepté de faire construire la piscine, c’était pour Aïcha. Pour qu’elle soit fière de lui, pour qu’elle n’ait pas honte, elle, la future médecin, d’inviter un jour ses amis à la ferme.
Slimani adopte comme toujours un style qui décrit de manière brute et viscérale la violence et l’ambivalence des sentiments.
Du sentiment d’échec à la réussite sociale
Le couple Amine-Mathilde, la quarantaine passée, a évolué. Ils ont transmis à leur fille cette volonté de revanche sur le destin. Alors que, pendant des années, ils ont vécu chichement, peinant à faire prospérer leur exploitation agricole, le succès est enfin à leur portée. Grâce à la mécanisation, les investissements d’Amine sont devenus rentables et permettent à la famille d’améliorer son train de vie et son statut social.
Si la rancœur persiste, la scène finale, qui donne son titre au roman, sonne comme une victoire. Alors qu’Aïcha donne naissance à une petite fille, ses parents dansent en pensant avec émotion et fierté au chemin parcouru depuis leur début dans le Maroc de l’après-guerre.
Hassan II et les années de plomb
Du point de vue du contexte historique, Regardez-nous danser décrit le début des années de plomb au Maroc. Répression des émeutes étudiantes en 1965, afflux de hippies à 1969 dans la région d’Essaouira, échec du coup d’Etat militaire contre Hassan II en 1971… L’Histoire est bien présente et menace de bouleverser la vie des personnages. Dans un « fast forward » inattendu mettant en scène le personnage de Mehdi méditant sur son passé à partir d’une cellule de prison, on comprend que le troisième et dernier tome de la trilogie sera sûrement plus politique que les deux précédents.
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