J’avais été impressionnée par Ariane, le premier roman de Myriam Leroy sur une amitié toxique entre deux adolescentes. Les Yeux rouges, publié l’année suivante, était intéressant par son sujet (le harcèlement en ligne), mais j’avais moins accroché au style. Avec Le Mystère de la femme sans tête, je me suis régalée. Non seulement il s’agit d’un roman historique, mon genre de prédilection, mais en plus il offre une perspective bruxelloise et féministe sur un personnage oublié de la Seconde guerre mondiale.
Un personnage féminin atypique
Qui était donc Marina Chafroff ? Cette jeune femme russe exilée en Belgique, une mère de famille sans histoires, fut décapitée à la hache sur ordre d’Hitler en 1942. A-t-elle vraiment poignardé un fonctionnaire allemand de sa propre initiative ? S’agit-il d’une héroïne de la résistance antinazie ou tout simplement d’une illuminée, prête à se sacrifier pour éviter des représailles sur des otages innocents ?
Ce personnage atypique est l’héroïne du roman Le Mystère de la femme sans tête. Myriam Leroy nous transporte ainsi dans Bruxelles occupée, alors que la communauté russe est divisée entre les « Blancs », émigrés en Belgique après la Révolution bolchévique et fidèles au régime tsariste, et les communistes, qui soutiennent le régime stalinien. Mariée à Youri, lui aussi exilé, et mère de deux jeunes garçons, Marina n’a pas d’affiliation politique connue. Elle va pourtant se dénoncer aux autorités allemandes pour éviter l’exécution d’une soixantaine d’otages, sans que son acte soit revendiqué par la Résistance.
Un récit-enquête aux résonances très personnelles et contemporaines
Plutôt que de se limiter à un roman historique classique, l’autrice choisit de se mettre en scène, parallèlement à son héroïne, alors qu’elle enquête sur le personnage. C’est après avoir découvert par hasard la tombe de Marina au cimetière d’Ixelles à Bruxelles que Myriam Leroy se sent happée par son sujet. Elle mène alors une enquête dans les archives officielles et interroge Vadim, le fils de Marina, pour se faire sa propre opinion des évènements. Sa démarche n’est pas sans faire penser à celle de Stefan Hertmans dans Le cœur converti. Dans Le Mystère de la femme sans tête, Leroy comble les « vides » de l’Histoire avec les hypothèses qui lui semblent les plus vraisemblables pour livrer un portrait attachant d’une femme victime des préjugés sexistes de son temps. Elle évoque aussi des anecdotes personnelles qui, bien que contemporaines, offrent des résonances intéressantes avec ce qu’aurait pu ressentir Marina.
Le va-et-vient entre passé et présent fonctionne d’autant mieux que l’autrice utilise son personnage comme un miroir et réfléchit ce qui relie les femmes à travers les siècles. Le roman est donc à la fois une fiction, un essai historique et une réflexion féministe sur le sens de la révolte individuelle. Un bon moment de lecture qui m’a permis au passage d’apprendre des choses intéressantes sur la Seconde guerre mondiale en Belgique tel que le rôle ambigu joué par le bourgmestre de Bruxelles Jules Coelst.
Merci à l’éditeur Seuil et à Babelio Masse critique de m’avoir permis de chroniquer ce livre avant sa sortie officielle le 6 janvier 2023.