Le dernier bain de Gwenaële Robert est un excellent roman historique sur l’assassinat de Jean-Paul Marat par Charlotte Corday en juillet 1793. La révolution française est alors en pleine phase de Terreur et les radicaux de la Montagne comme Marat encourage un climat de délation. Tout individu suspect est considéré comme un ennemi de la patrie et risque la guillotine. Charlotte, qui se situe politiquement du côté des Girondins plutôt que des Montagnards, n’a alors que vingt-quatre ans. Mais elle est déterminée à mettre un terme à la Terreur en éliminant Marat. Elle aurait dit, lors de son procès :
J’ai tué un homme pour en sauver cent mille.
Une perspective intéressante sur la révolution française, pleine de détails surprenants
Le contexte historique est intégré de manière très réussie dans le récit. Sans en faire trop, Robert distille ici et là de nombreux détails intéressants sur la vie quotidienne à Paris pendant la Terreur. On apprend par exemple que l’été 1793 est si chaud que la bière vient à manquer, ou encore que de nombreux écrivains publics étaient d’anciens moines, « reconvertis » de force suite à la dissolution des couvents et des abbayes. Le roman souligne également la grande influence alors exercée par Marat et le culte de la personnalité dont il fait l’objet :
C’est surtout Marat, l’idole, qui excite l’imagination des commerçants. Son effigie est partout : ici sa tête est montée sur une bague, là son visage apparaît sur des tabatières. Les femmes le veulent à leur doigt, les hommes dans leurs poches.
Un homme à la fois adulé et détesté
C’est sans aucun doute cette popularité, combinée à sa responsabilité directe dans la multiplication des exécutions, qui fait de Marat une cible de choix pour les opposants au régime. Car l’originalité du roman Le dernier bain est de suggérer que Marat aurait très bien pu être assassiné par quelqu’un d’autre, et que c’est un peu un hasard si c’est Charlotte Corday qui a finalement commis l’acte meurtrier. Jane l’anglaise, Théodose l’ancien prêtre… sont autant de personnages qui nourrissent eux-aussi une haine profonde à l’égard du révolutionnaire.
Robert choisit de ne pas s’attacher à un personnage en particulier et multiplie les points de vue. Au sein d’un même chapitre, on passe souvent du point de vue d’un personnage à un autre, mais toujours de manière fluide. Ce qui pourrait rendre l’identification du lecteur difficile est en réalité un atout car ce procédé d’écriture permet de donner une vraie consistance aux personnages, dont les destins finissent par se croiser.
Une postérité inébranlée
En ce qui concerne Charlotte, elle serait aujourd’hui considérée comme une terroriste kamikaze. Elle sait très bien que son acte la condamne à la guillotine, mais elle se voit comme une martyre de la cause révolutionnaire et aspire à une gloire posthume :
Il faut que la postérité retienne son nom. Elle veut que l’on écrive dans les récits qui forgeront sa légende : « Elle s’appelait Marie Anne Charlotte de Corday d’Armont. »
Enfin, Le dernier bain est aussi l’occasion pour Robert d’évoquer la baignoire de Marat, conservée au Musée Grévin à Paris, et le fameux tableau de David, La Mort de Marat, peint en 1793, dont l’original est conservé aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles. Comme dans La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier, l’auteure s’amuse à imaginer les raisons derrière les choix esthétiques du peintre. Alors que David présente Marat comme un martyr, Charlotte n’est même pas représentée. Un choix délibéré, peut-être pour la condamner à l’oubli ? Une tentative bien vaine, comme en attestent les nombreux ouvrages qui sont aujourd’hui consacrés à la jeune femme, souvent présentée comme une véritable héroïne de la révolution. On lui a même consacré des poèmes et un opéra !
Merci à NetGalley et aux éditions Robert Laffont de m’avoir permis de chroniquer ce roman.