La Princesse de Clèves est l’un des grands classiques de la littérature mondiale, souvent considéré comme le premier roman historique de langue française. Écrit en 1678 par Madame de Lafayette, ce roman historique met en scène les tourments d’une jeune femme de la noblesse éprise d’un autre homme que son mari. En adaptant La Princesse de Clèves en bande dessinée, Claire Bouilhac et Catel Muller en offrent une interprétation féministe très moderne.
Si le roman date de la fin du XVIe siècle, l’intrigue de La Princesse de Clèves se déroule au siècle précédent, sous le règne d’Henri II, alors que la France est encore en pleine Renaissance. Présentée à la Cour par sa mère alors qu’elle n’a que seize ans, la jeune mademoiselle de Chartres accepte d’épouser le Prince de Clèves, un homme alors très en vue et proche de la famille royale. Celui-ci est éperdument amoureux d’elle, mais la réciproque n’est pas vraie. La princesse n’éprouve à vrai dire qu’une considération amicale et respectueuse pour son mari.
Proche de la dauphine Marie Stuart, épouse de l’héritier au trône, le futur François II, la princesse de Clèves voit sa vie basculer le jour où elle rencontre le Duc de Nemours. Cette fois, le coup de foudre est réciproque, mais cet amour est impossible. La princesse est mariée et le duc est promis à la reine d’Angleterre Elisabeth Ière…
Si la bande dessinée reprend les principales péripéties du roman de manière assez fidèle, Bouilhac et Muller s’autorisent de nombreux ajustements pour mieux coller au format BD et offrir leur interprétation personnelle du personnage. Elles soulignent notamment la modernité des questionnements au cœur de l’intrigue : Peut-on avouer à son époux(se) que l’on aime quelqu’un d’autre sans risquer qu’il(elle) sombre dans une jalousie destructrice ? Peut-on renoncer à la passion sans renoncer au bonheur ?
Dans un environnement où règnent les intrigues de Cour et les faux-semblants, la jeune Princesse de Clèves incarne une certaine forme d’innocence qui n’a pas sa place. La relation très publique entre Henri II et sa maîtresse Diane de Poitiers, l’engouement de la reine Catherine de Médicis pour les prédictions des astrologues comme Nostradamus… les clins d’œil historiques ne manquent pas qui soulignent le décalage entre les comportements de fait et les principes prônés par les conventions sociales.
Tout en esquissant en quelques traits les magnifiques décors des châteaux du Louvre, de Chambord ou de Blois, les autrices-dessinatrices s’intéressent surtout aux personnages, n’hésitant pas à les faire figurer parfois sur un simple fond blanc pour mieux créer un effet d’intimité dans les scènes de dialogue.
Le prologue et l’épilogue offrent par ailleurs un parallèle intéressant entre Madame de La Fayette et le personnage qu’elle a créé. Dessinés par Catel Muller, alors que le récit central a été illustré par Claire Bouilhac, ces deux parties suggèrent que l’attachement de madame de La Fayette à François de La Rochefoucauld a pu inspirer sa description des tourments amoureux de la Princess de Clèves. Comme son héroïne et malgré le succès connu de son vivant par ses romans (publiés de manière anonyme), madame de La Fayette choisit en effet de se retirer de la vie publique après avoir « perdu » son compagnon.
Au final, La Princesse de Clèves prouve que l’on peut adapter avec bonheur un roman en bande dessinée. L’exercice est certes périlleux, et nombreux sont ceux qui regardent d’un œil critique ces versions « simplifiées » et « en images » d’œuvres littéraires complexes et parfois épaisses de plusieurs centaines de pages. Mais en réalité, les adaptations en BD n’ont pas vocation à remplacer la lecture du roman. Au contraire, elles donnent envie à leurs lecteurs de (re)découvrir les œuvres d’origine, tout en offrant une interprétation nouvelle qui permet à ceux qui ont déjà lu l’original de prolonger leur réflexion.
BONUS : Les auteures parlent de leur livre
Article original écrit pour Le Suricate Magazine