L’Enlèvement (Rapito pour la version originale en italien) est un film historique qui part d’un fait divers – le rapt d’un enfant juif par l’Inquisition du Pape Pie IX en 1858 – pour dresser le portrait d’une époque : celle de l’unification italienne, marquée par la lutte entre Libéraux et Catholiques.
Un enlèvement arbitraire
Dans les années 1850, la ville de Bologne fait partie des États de l’Eglise, placés sous l’autorité du Pape. La communauté juive y est tout juste tolérée et doit faire profil bas. Le petit Edgardo Mortara y grandit dans une famille juive sans histoires. En 1858, alors qu’il n’a que 6 ans, il est soudainement enlevé par les soldats du Pape. Alors que ses parents font tout pour récupérer leur fils, on leur oppose une fin de non-recevoir. Edgardo aurait été baptisé par la bonne de la famille à l’insu des parents, ce qui fait de lui un chrétien. Il ne peut donc, selon les règles de l’Eglise catholique, être élevé par des parents juifs. Déraciné, le petit garçon est emmené auprès du Pape Pie IX à Rome où il est soumis à une éducation religieuse stricte à la maison des catéchumènes. Alors que sa famille fait appel à l’opinion publique pour tenter de libérer Edgardo, le temps passe et l’avènement de l’unification italienne se profile. La victoire des patriotes italiens sur les États de l’Eglise arrivera-t-elle à temps pour réunir Edgardo et les siens ?
Des effets un peu lourds mais un scénario bien rythmé
Inspiré d’une histoire vraie, le scénario de L’Enlèvement n’hésite pas à prendre une certaine distance avec les faits pour dresser le portrait d’une famille brisée tout en réglant son compte au Pape Pie IX. Si le film traîne un peu en longueur (2h15), la tension dramatique est maintenue grâce à des effets visuels et sonores parfois un peu ostentatoires mais heureusement bien dosés. Ainsi, certaines scènes mettent en parallèle les rites de la famille en deuil et l’endoctrinement du petit Edgardo avec un effet crescendo assez efficace.
Les scènes oniriques (dont les cauchemars du pape, raillé par les médias libéraux, et du petit garçon, perplexe devant la fascination mortifère des fidèles pour la crucifixion du Christ) sont autant de clins d’œil humoristiques permettant au film de ne pas tomber dans le mélodrame. L’émotion face à l’enlèvement arbitraire d’Edgardo est pourtant bien là, notamment grâce à la belle performance de Fausto Russo Alesi, très touchant dans le rôle de Salomone, le père d’Edgardo.
Un enfant tiraillé entre deux camps
Si le contexte historique est évoqué de manière intéressante, l’intrigue reste centrée sur le personnage d’Edgardo, ce petit garçon sommé de renier les siens pour devenir un soldat du Christ. Alors que L’Enlèvement prend fait et cause pour la famille d’Edgardo, le petit garçon est un personnage ambivalent, presque schizophrène, tiraillé entre son allégeance à sa famille et au Pape, qu’il vient à considérer comme son père adoptif. Les scènes un peu loufoques imaginées par Marco Bellochio pour montrer la relation d’amour-haine entre Edgado jeune adulte et le Pape vieillissant, à la fois bourreau et père de substitution, permettent d’offrir au spectateur une sorte de revanche jubilatoire là où le « vrai » Edgardo avait déjà choisi son camp. On salue au passage la ressemblance très convaincante entre les acteurs Enea Sala (Edgardo petit) et Leonardo Maltese (Edgardo jeune adulte).
Déjà sorti en France, L’Enlèvement sortira en Belgique le 6 décembre 2023. Il sera également projeté en avant-première le 3 décembre lors du festival Cinemamed à Bruxelles.
Article original écrit pour le magazine Le Suricate