Intimes confidences d’Inès de Kertanguy est un roman historique très accessible qui a l’avantage d’offrir une biographie croisée de Laure Junot (née Permon), duchesse d’Abrantès (1784-1838) et d’Honoré de Balzac (1799-1850). Si la duchesse n’est pas aussi célèbre que l’auteur de La Comédie humaine, ses Mémoires, publiés dans la première moitié des années 1830, ont connu un réel succès de son vivant. Alternant entre les points de vue des deux personnages, le récit repose principalement sur des dialogues, suivant de manière chronologique les entrevues entre Balzac et la duchesse de 1825 à 1829.
À cette époque, Balzac n’a pas encore atteint la trentaine mais il rêve déjà de gloire. Comme Laure Junot, veuve d’un général de l’Empire dévoué à Napoléon, il se trouve dans une situation financière précaire et vit au-dessus de ses moyens. Au début de leur relation, c’est bien la qualité d’épouse de Junot et sa proximité avec Napoléon qui rendent la duchesse si intéressante aux yeux du jeune écrivain, fasciné par le mythe de Bonaparte. En interrogeant Laure sur ses relations avec l’Empereur, dans le cadre de la vie privée tout autant que dans les relations officielles, Balzac encourage progressivement son amie, qui devient sa maîtresse à partir de 1828, à rédiger ses mémoires en vue d’offrir sa perspective unique et personnelle sur le règne de Napoléon Ier. Leur relation est d’ailleurs mutuellement bénéfique car Laure Junot introduit Balzac dans les salons littéraires parisiens tels celui de Juliette Récamier, un lieu assidument fréquenté par François-René de Chateaubriand (1768-1848) et d’autres écrivains illustres de la première moitié du XIXe siècle.
Si l’ombre de Napoléon est omniprésente tout au long du récit, notamment à travers de nombreuses anecdotes personnelles sur l’Empereur et sa famille, le personnage de Laure est de loin le plus attachant. Mariée à dix-huit ans, elle suit son mari au Portugal, en Espagne, puis en Italie, au gré des campagnes militaires. Appréciée pour son esprit caustique et son aisance en société, celle que Napoléon surnomme « la petite peste » devient quelque temps la maîtresse de Metternich (1773-1859), l’ambassadeur d’Autriche en France, avant de se faire plus discrète après la chute de Napoléon.
Passionnée par le XIXe siècle, Inès de Kertanguy parvient à trouver un bon équilibre entre fiction et histoire, restant au plus près des faits historiques tout en dressant des portraits de personnages humains et attachants. Son Napoléon, bien que magnanime avec ses hommes, est souvent mesquin, colérique, et imbu de lui-même dans l’intimité. Balzac est, comme son héros Rastignac dans Le Père Goriot, « un de ces grands enfants égoïstes qui aimait les femmes pour ce qu’elles pouvaient lui offrir et non pour ce qu’il pouvait leur apporter. » Mais si le roman le montre en amant manipulateur, il nous offre aussi un aperçu de son génie créateur et de sa méthode de travail, évoquant par exemple les recherches de terrain menées en Bretagne à la fin des années 1820 pour finaliser l’écriture des Chouans : un bon exemple de roman « naturaliste ».
Au final, Intimes confidences est fidèle à son titre et fait pénétrer le lecteur dans l’intimité de trois grands personnages à travers une série de récits personnels, partagés dans le confort d’un salon ou d’un jardin. Une lecture agréable et instructive.
J’ai aimé…
- L’enchaînement chronologique des chapitres et le style très simple et agréable de l’auteure
- L’aspect didactique mais sans lourdeur du récit, qui permet de passer en revue les grands évènements de la Révolution française et de l’Empire en même temps que la biographie de trois personnages illustres (Napoléon, Balzac et la duchesse d’Abrantès)
J’aurais aimé…
- Un épilogue un peu plus fourni avec une liste des principales sources utilisées pour le récit. Je me demande par exemple si les extraits de correspondance entre Balzac et la duchesse cités dans le roman sont véridiques ou inventés…
Merci aux éditions Tallandier de m’avoir permis de lire ce livre au moment de sa publication officielle en juin 2018.