Camarade Papa est un roman qui offre une perspective originale sur l’histoire de la colonisation française en Côte d’Ivoire à travers deux récits parallèles : celui d’un colon français au XIXe siècle, et celui d’un enfant d’immigrés africains en Europe au XXe siècle.
250 pages d’un voyage dans le temps et dans l’espace auquel s’ajoute une exploration du langage et de la culture – ou plutôt des cultures.
Le commerce au cœur de l’aventure coloniale
Dans les années 1880, à la mort ses parents, Dabilly décide de quitter la France pour tenter sa chance en Afrique. Un peu par hasard, il est embauché par l’entreprise de commerce international d’Arthur Verdier (1835-1898), « Résident de France » en Côte d’Ivoire. Il arrive à Grand-Bassam alors que Français et Anglais se disputent le contrôle de la région. Chargé de négocier des accords avec les tribus locales, il s’intègre peu à peu à sa société d’accueil et découvre une ethnologie complexe composée de porteurs mandés-dyoulas, de tirailleurs sénégalais, de groupes d’Aboureys, de rebelles akapless, de pagayeurs apoloniens de kroumens.
Dabilly pose un regard critique non seulement sur les mœurs africaines, mais aussi sur celles des colons, divisés entre « négrophiles » et « négrophobes » :
On frôle régulièrement le pugilat. L’ambiance ne se détend que lorsqu’arrivent les Anglais. La détestation du Britannique adoucit les mœurs.
Ses observations révèlent des détails historiques parfois surprenants et souvent amusants, comme cet engouement des Ivoiriennes pour les mouchoirs anglais :
À Grand-Bassam, le summum de la coquetterie est un mouchoir à l’effigie de la reine Victoria glissé entre les jambes. Le visage de la vieille régente oscille en un endroit où la propagande anglaise n’aurait pas imaginé s’afficher.
Lutte des classes et post-colonialisme
Un siècle plus tard, Anouman, encore à l’école primaire, quitte lui aussi l’Europe pour la Côte d’Ivoire, le pays d’origine de ses parents. Influencé par le communisme militant de son père, il pose un regard étonné sur sa nouvelle terre d’accueil, tentant d’interpréter les attitudes et les discours des adultes à travers la grille d’analyse de la lutte des classes… telle qu’il la comprend. Le langage qu’il utilise pour décrire son expérience regorge de néologismes, de mots détournés et d’associations d’idées saugrenues : « esclavengeurs », « suppositoires du grand capital » … Beaucoup d’ironie et d’absurde qui contribuent à créer une distance critique avec la réalité décrite et les grands discours idéologiques des adultes.
Résultat : Camarade Papa offre un moment de lecture qui sort de l’ordinaire, par son sujet mais aussi et surtout par le style de l’auteur. Journaliste en Côte d’Ivoire, Gauz s’est fait connaître comme écrivain en 2014 grâce au succès critique de son premier roman, Debout-Payé. Ce témoignage d’un jeune sans papiers africain qui devient vigile à Paris dans les années 1990 brosse un portrait à la fois drôle et critique de la société française face à l’immigration. Dans Camarade Papa, on retrouve le même sens de la satire, appliqué cette fois à l’histoire de la colonisation et de l’immigration. Un ton décalé et personnel qui, loin des clichés et du politiquement correct, souligne l’absurdité des discours hégémoniques quels qu’ils soient.
J’ai aimé…
- Le récit de la colonisation française en Côte d’Ivoire du point de vue d’un témoin des tensions entre Français et Anglais, entre colons et autochtones, mais aussi entre commerçants et militaires français.
- Le style, très imagé, plein d’humour et d’associations inattendues, qui fait appel à l’intelligence du lecteur.
J’ai moins aimé…
- L’éditeur présente le roman comme la confrontation de deux regards, « celui du blanc sur l’Afrique et celui du noir sur l’Europe ». En réalité, malgré l’unité de lieu (Grand Bassam), il est parfois difficile de faire le lien entre les deux points de vue. L’histoire de Dabilly tend à prendre le dessus sur celle d’Anouman.
- Si le style est remarquable, certains traits d’humour implicites peuvent être difficile à saisir pour le lecteur qui ne dispose pas de toutes les références culturelles nécessaires.
Merci à NetGalley et aux éditions Le Nouvel Attila de m’avoir permis de lire ce livre avant sa publication officielle le 31 août 2018.