Rencontre avec Jeroen Olyslaegers à la Librairie Filigranes, 3 juin 2019.

Trouble, la confession d’un collabo

J’ai eu le plaisir de rencontrer Jeroen Olyslaegers lors d’une conférence en 2019 mais je n’avais pas encore pris le temps de lire son roman Trouble (« Wil » pour le titre original en néerlandais). C’est désormais chose faite ! Lors de ma prochaine visite à Anvers, je pense que je ne verrai plus la ville tout à fait de la même manière…

La police complice

Couverture du roman « Trouble » de Jeroen Olyslaegers (Stock, 2019)

Pendant la Seconde guerre mondiale, Anvers est le théâtre d’actes d’une extrême violence à l’encontre de la population juive. La grande ville flamande est notamment réputée pour le commerce du diamant, une industrie dans laquelle de nombreux Juifs sont actifs depuis le XVe siècle. Dans la nuit du 15 au 16 août 1942, la première rafle mène à l’arrestation de près de 1 000 Juifs, d’abord rassemblés à Malines avant d’être déportés vers les camps de la mort.

Mais ce que montre Trouble, c’est que cette folie meurtrière n’est pas seulement le fait des Nazis. Les forces de police de la ville y ont en effet contribué de manière active. En choisissant pour personnage principal Wilfried Wils, un jeune policier d’une vingtaine d’années, Olyslaegers questionne les motivations ambiguës de ces acteurs qui forment une sorte de corps intermédiaire entre la population et les forces d’Occupation.

Opportunisme et instinct de survie

Les policiers anversois auraient-ils pu agir autrement ? Que risquaient-ils en s’opposant ouvertement, ou au moins passivement, aux Allemands ? Les réponses apportées par le roman, sans être univoques, s’inspirent des recherches historiques les plus récentes. Plutôt antipathique, le personnage de Trouble est avant tout un opportuniste : ni fondamentalement hostile aux Juifs ni empathique à leur sort, il veut surtout faire carrière, se marier, et survivre à la guerre. Son beau-frère et collègue Lode, aux valeurs quelque peu différentes, offre un contrepoint intéressant pour mieux comprendre les choix qui se présentaient aux policiers.

À l’aide de plusieurs flashbacks, Wilfried le narrateur donne sa version des faits dans une confession sans fard, laissant le lecteur juger ses actes. À quel point Wilfried partage-t-il les vues de Barbiche Teigneuse, son mentor antisémite ? Son aide à un Juif caché est-elle purement intéressée, ou éprouve-t-il une certain respect envers cet homme ?

Un homme plein de paradoxes

Outre l’aspect historique et l’intérêt des questions morales que soulève le roman, j’ai particulièrement apprécié de le style de l’auteur. Le ton souvent caustique et cynique de Wilfried n’empêche pas une certaine émotion de faire surface de temps en temps. Le personnage lui-même, un policier qui se rêve poète, incarne ce paradoxe.

La figure d’Angelo, le double de Wilfried qui se manifeste de temps en temps dans les moments de grande tension, incarne à la fois le côté sombre du personnage, une sorte de violence refoulée, mais aussi ce qui le rend humain, une force vitale qui lui donne parfois le courage de s’affirmer et de refuser d’être un simple suiveur.

Cette ambiguïté permanente, ce mélange de violence gratuite et d’humanité, est sûrement ce qui marque le plus à la lecture de Trouble. Certes, Wilfried est un salaud, mais un salaud qui ne cherche pas à se faire passer pour un saint et qui dénonce l’hypocrisie dans tous les camps :

Les gens disent parfois qu’il faut se mettre dans la peau de l’autre pour comprendre certaines choses. Mais ça aussi, c’est de l’hypocrisie parce que, par la peau de l’autre, on entend toujours celle de la victime.

Les fantômes de la guerre dans la ville

La ville d’Anvers, enfin, est presque un personnage à part entière :

En moi comme dans la ville, il y a beaucoup trop de choses ensevelies.

Au plus profond de cette ville se cache un manque d’amour d’elle-même. Elle est fendue en deux, dit-on parfois. Elle se laisserait diviser entre deux courants d’opinion parfaitement opposés, qui ne peuvent se sentir ni se voir. Mais ce serait beaucoup trop simple. Elle se laisse diviser avant tout parce qu’elle est indécise.

Mise à part la toute fin du roman qui m’a laissé un peu perplexe, j’ai vraiment été impressionnée par la narration. J’ai hâte que le dernier roman de l’auteur, Wildevrouw, soit traduit en français. Cette fois, ce sera une plongée dans Anvers au XVIe siècle !

Photo : Rencontre avec Jeroen Olyslaegers à la Librairie Filigranes, 3 juin 2019.

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