Trois incendies est un roman de Vinciane Moeschler sur le destin de trois femmes à trois époques différentes :
- Léa est une jeune préadolescente qui a fait l’expérience de l’exode puis de l’occupation allemande dans les Ardennes belges pendant la seconde guerre mondiale ;
- Alexandra, sa fille, travaille comme photographe de guerre dans les années 1980 ;
- Maryam, la fille d’Alexandra (et donc la petite-fille de Léa), étudie à Bruxelles dans les années 2000.
Gérer le traumatisme de la guerre
Chacune à sa manière est marquée par l’expérience de la guerre. Alors que sa famille sort meurtrie de la seconde guerre mondiale, Léa a la chance de se faire parrainer par une famille suisse. Elle part pour Genève en 1945 et y commence une nouvelle vie. Mais elle ne peut pas s’empêcher de transmettre son traumatisme à sa fille Alexandra, à laquelle elle fait regarder de nombreux documentaires sur la guerre. Pour « ne pas oublier ».
Alexandra développe par la suite une sorte fascination pour les conflits armés et devient photographe de guerre. Sa mission lors de la guerre civile au Liban en 1982 marque toutefois un tournant. C’est le moment où les Phalangistes, une milice chrétienne, massacrent plusieurs centaines de civils (de 460 à 3 500 victimes, selon les estimations) dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila. Un épisode sanglant de l’histoire du XXe siècle au cœur du film historique d’animation Valse avec Bachir (2008). Après avoir été témoin de cette boucherie, la santé mentale d’Alexandra se dégrade et elle met du temps à se remettre de sa dépression.
Le duo mère-fille : une relation difficile mais structurante
Maryam quant à elle souffre des absences prolongées de sa mère, régulièrement envoyée prendre des photos dans les zones de conflit à travers le monde. Elle refuse de partager cette obsession familiale pour les conflits violents et fait le choix de s’intéresser aux animaux.
Comme dans Les Vaches de Staline, le lien familial fort entre les trois femmes renforce l’intérêt du lecteur pour chacun des récits parallèles de Trois incendies. Le mode de narration interroge d’ailleurs directement leurs relations l’une à l’autre. Alors que Maryam s’exprime à la première personne, l’histoire d’Alexandra est racontée à la troisième personne, et celle de Léa à la deuxième personne. Ce « tu » inhabituel semble d’ailleurs faire écho à la perte de mémoire de Léa, atteinte de la maladie d’Alzheimer à la fin de sa vie. On comprend petit à petit que c’est sa petite-fille qui lui parle. Maryam lui remémore son passé, grâce aux souvenirs collectés par Alexandra. Une façon de » boucler la boucle » et de souligner le destin à la fois si différent et si semblable de ces trois femmes en quête d’indépendance.
J’ai aimé…
- faire l’expérience de la seconde guerre mondiale à travers les yeux d’une petite fille habitant avec sa famille dans les Ardennes belges. L’exode, les pillages, l’occupation, la résistance, la libération… sont évoqués du point de vue de leur impact sur les individus, au-delà des clichés habituels (notamment à travers l’expérience du maquis du grand-frère de Léa).
- la réflexion sur le métier de photographe de guerre. Jusqu’où peut-on aller pour transmettre les images d’un conflit ? Comment concilier vie familiale et vie professionnelle quand on peut être appeler à partir à l’étranger à tout moment ? Comment se reconstruire après avoir été témoin d’un massacre d’une incroyable violence ?
J’ai moins aimé…
- le registre de langage utilisé pour le récit de Léa. C’est peut-être parce que je ne suis pas habituée aux récits à la deuxième personne, mais le style m’a paru moins cohérent que dans les chapitres consacrés à Alexandra et à Maryam. J’ai par exemple relevé des phrases à la construction un peu bizarre (« Depuis la séparation d’avec sa mère, ta tante Emma, comme anesthésiée par ce qui se passe autour d’elle, s’accroupit face à toi. »), et d’autres qui m’ont semblé un peu trop littéraires pour correspondre au point de vue d’une jeune fille de douze ans (« Souhaite-t-il déposer ainsi ses fractures et la beauté de ses indécisions dans la lumière de son temps »).
- le parallèle un peu trop explicite entre les deux petites filles à la robe bleue, qui donne un côté un peu artificiel à la fin du roman.
Bonus Vidéo : L’autrice présente Trois incendies
Merci à NetGalley et aux éditions Stock de m’avoir permis de lire Trois incendies peu après sa publication officielle le 2 mai 2019.
Photo « à la une » : Manifestation annuelle commémorant les massacres de Sabra et Chatila, 19 septembre 2003. Photo de deutsch_laender (CC by 2.0 via Wikemedia Commons).