Portrait d'une jeune femme (détail), huile sur toile d'Élisabeth Vigée Le Brun, vers 1797.

Portrait de la jeune fille en feu

Avec Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma a failli remporter la Palme d’Or à Cannes. Bien joué et bien construit, ce film historique n’a pourtant pas la même authenticité brute que les premiers films de la réalisatrice.

Céline Sciamma s’est fait connaître grâce à des films décrivant avec énormément de force et de justesse la violence des sentiments adolescents. La Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles… sont autant de pépites. Dans Portrait de la jeune fille en feu, la réalisatrice quitte la banlieue parisienne pour s’essayer au film d’époque. Elle y transpose son univers très particulier : un monde quasi exclusivement féminin, où l’amour entre femmes a une place centrale, des dialogues forts et « bruts », ainsi que des émotions intenses soulignées par de nombreux gros plans sur les visages de ses actrices.

Regard et désir au féminin

Marianne est une jeune peintre. Formée par son père, elle gagne sa vie en réalisant des portraits de femmes issues de la haute société. Une comtesse milanaise établie en Bretagne lui demande de peintre sa fille Héloïse en vue d’envoyer le portrait à son futur mari. Mais Héloïse est opposée au mariage et refuse de poser. Marianne se fait donc passer pour une dame de compagnie. Elle l’observe en journée, avant de la peindre secrètement le soir venu.

C’est donc bien le regard qui est au cœur du jeu de séduction entre les deux jeunes femmes. Un regard qui s’enflamme rapidement de désir, alors que l’observatrice se sent elle aussi observée. La comtesse étant partie en voyage, Marianne et Héloïse se retrouvent seules avec Sophie, une jeune servante discrète qui est loin de leur servir de chaperon.

Un huis-clos théâtral

La montée de la tension sensuelle entre les deux femmes fait fortement penser aux romans (et aux adaptations filmées) de l’autrice britannique Sarah Waters, dont on peut penser que Sciamma s’est inspirée. Portrait de la jeune fille en feu a ainsi le mérite de montrer la force et la beauté du désir féminin à une période de l’histoire où les relations lesbiennes sont généralement occultées.

Fait assez rare pour un drame historique, seules quatre femmes se partagent l’écran pendant les deux heures que dure le film. Ce nombre restreint de personnages, combiné à l’unité de lieu (tout se passe dans la maison de la comtesse et dans son environnement immédiat), donne un côté très théâtral au film. Les dialogues sont d’ailleurs très riches, avec des phrases courtes toujours chargées de sens et d’émotions.

Quelques dissonances

Toutefois, contrairement aux œuvres de Sarah Waters, dont l’historicité est régulièrement saluée, Portrait de la jeune fille en feu semble utiliser le cadre historique comme prétexte à une intrigue universelle et hors du temps. Certes, les costumes, le mobilier et l’éclairage à la bougie créent bien une ambiance sombre, caractéristique du XVIIIème siècle. Mais le ton des dialogues comme les attitudes des actrices sont bien loin des conventions de l’époque. Adèle Haenel, en particulier, incarne une Héloïse dont l’éducation au couvent des bénédictines semble n’avoir laissé aucune trace. Qu’il s’agisse des relations lesbiennes comme de l’avortement, l’absence totale de considération religieuse et de culpabilité de la part des jeunes femmes s’éloigne si fortement des mœurs de l’époque que le film perd en réalisme.

Par ailleurs, le symbolisme de certaines scènes, notamment à travers l’évocation récurrente du mythe d’Orphée et d’Eurydice, est un peu trop lourd pour générer une véritable émotion. Malgré ces quelques dissonances, Portrait de la jeune fille en feu reste un film riche et envoûtant offrant une vision personnelle et décomplexée de l’amour entre femmes.

Article original écrit pour Le Suricate Magazine

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