Mademoiselle de Joncquières est un drame sentimental inspiré d’un court récit conté par un personnage de Jacques le fataliste, le roman de Denis Diderot publié en 1796. Il évoque la revanche d’une femme abandonnée par son amant, le marquis des Arcis, un libertin invétéré. Cette femme, c’est madame de La Pommeraye, une jeune veuve incarnée par Cécile de France, délicieuse dans ces robes de taffetas à paniers en vogue à la veille de la Révolution française. Tombée follement amoureuse du marquis après lui avoir longtemps résisté, elle se sent profondément trahie lorsqu’il la quitte pour une autre. Elle décide alors de feindre l’amitié pour mieux préparer sa vengeance…
Du théâtre filmé
Diction limpide, nombreux dialogues en tête à tête, malentendus en chaîne, fondus appuyés avant chaque changement de décor… Mademoiselle de Joncquières se regarde comme une pièce de théâtre, même si les nombreux plans séquences qui suivent les acteurs en mouvement permettent d’éviter un effet trop statique. La théâtralité est d’ailleurs renforcée par une mise en abîme puisque madame de La Pommeraye recrute deux autres femmes, la jeune et jolie mademoiselle de Jonquières et sa mère, pour « jouer la comédie » devant le marquis et lui tendre un piège. Derrière son visage d’ange, Cécile de France est remarquable dans ce rôle de femme rongée par le ressentiment et passée maîtresse dans l’art de la duplicité. Edouard Baer est par contre nettement moins convaincant dans le rôle du marquis libertin. Sa démarche nonchalante et la façon dont ses tirades s’apparentent parfois à des marmonnements ne collent pas vraiment avec l’image de séducteur de son personnage. Ce n’est que lorsqu’il se transforme en amoureux éploré, torturé par son désir inassouvi pour la jeune mademoiselle de Jonquières, qu’il gagne en consistance.
Libertinage et guerre des sexes
Au-delà du jeu des acteurs, le thème du film et les rebondissements de l’intrigue en font une fable sur les relations hommes-femmes à la morale finalement très contemporaine. En se vengeant du marquis, madame de La Pommeraye prétend vouloir « corriger les hommes ». Plus qu’un réquisitoire contre le libertinage, il s’agit de dénoncer l’égoïsme et l’hypocrisie des hommes de la noblesse pour qui les femmes se collectionnent et se jettent comme des objets, alors que ces dernières ont tout à perdre dès qu’elles sortent du cadre légal du mariage. Loin d’être féministe, de la Pommeraye exploite la vulnérabilité d’autres femmes pour parvenir à ses fins, ajoutant à la dénonciation de l’inégalité sexuelle une dénonciation de l’inégalité entre les classes sociales. Et, comme souvent dans les œuvres des philosophes du XVIIIe siècle, ce sont les personnages les plus pauvres, les plus déconsidérés par la société, qui sortent leur épingle du jeu face à des élites aux mœurs corrompues.
Mademoiselle de Joncquières est un film historique divertissant qui ravira les amateurs de bons mots, de beaux décors, de costumes d’époque et de musique classique.
Article original écrit pour Le Suricate Magazine