Il est déjà demain est le récit autobiographique d’Henri Lopes, ancien Premier ministre du Congo-Brazzaville de 1973 à 1975. Né de l’autre côté du fleuve Congo, à Kinshasa, de parents métis, ce petit garçon « café au lait » a grandi à Brazzaville puis étudié en France où il fréquente la Sorbonne. C’est là qu’il découvre le concept de négritude et qu’il milite dans les mouvements de libération nationale d’influence marxiste. Pour lui :
La France nous a colonisés, mais c’est en France que nous nous sommes décolonisés.
C’est aussi à Paris qu’il rencontre sa femme Nirva, une jeune géographe guadeloupéenne qui le suit lors de son retour en Afrique au milieu des années 1960. De 1969 à 1980, il occupe diverses fonctions gouvernementales au Congo-Brazzaville : à l’éducation nationale, aux affaires étrangères, puis comme Premier ministre et enfin ministre des finances. Ces responsabilités lui sont d’ailleurs confiées sans qu’il soit vraiment consulté :
[J]’eus la surprise d’apprendre à la radio que j’étais membre du gouvernement, chargé des Finances. L’ambiance générale, pesante, ne se prêtait pas à désavouer les autorités en place.
À partir des années 1980, il quitte la politique nationale pour retourner à Paris, comme haut fonctionnaire à l’UNESCO puis comme Ambassadeur de la République du Congo en France. C’est ce parcours mouvementé aux premières loges de l’histoire politique que Lopes partage dans ses mémoires. Il est déjà demain contient en effet une mine d’information sur les premières années de l’indépendance des pays africains. L’auteur y relate par exemple les débats internes entre pays nouvellement indépendants sur le type de communisme à mettre en place, ou encore sur le type de relations à maintenir avec l’ancienne puissance coloniale. En République du Congo, Lopes a vécu plusieurs changements de régime, et notamment la révolution des « Trois Glorieuses » de 1963, dont il a fait un hymne national en 1970.
Écrivain amoureux des lettres, Lopes évoque aussi fréquemment les grands personnages politiques que les écrivains qu’il a côtoyés. Un monde très masculin où quelques femmes se distinguent malgré tout de temps à autres. Si Lopes le diplomate se montre prudent dans sa critique des grandes figures de son temps, c’est que, selon ses propres termes, il préfère la pudeur :
[C]ertaines vérités détruisent et tuent. Inutilement.
Toutefois, au-delà du témoignage de l’écrivain et de l’homme d’État, les passages les plus intéressants et les plus touchants de ces mémoires sont, comme souvent, le récit des années de jeunesse. Métis, Lopes a sa vie durant dû justifier de ses origines et de la couleur de sa peau. Pas assez noir aux yeux de certains, trop blanc pour d’autres… Dans Il est déjà demain, il nous rappelle que beaucoup d’enfants métis, abandonnés par leur père blanc, ont été placés de force dans des orphelinats plutôt que d’être élevés par leur mère noire. Un destin singulier qui créé une certaine solidarité entre métis :
Le métis est un être ballotté entre plusieurs familles, qui appartient à trois tribus : celle de sa mère, celle de son père, celle des métis.
Toute sa vie, Henri Lopes a voyagé et rencontré des personnes d’origines différentes dont il est devenu très proche. Ce sont ces échanges qui ont fait de lui quelqu’un de si adaptable et qui lui ont permis d’avoir une carrière internationale si prestigieuse. Ses mémoires, en plus d’être très informatives pour le lecteur, sont aussi et peut-être avant tout une célébration des bienfaits du métissage et de la diversité.
J’ai aimé…
- le ton de la conversation utilisé par l’auteur, ainsi que la façon dont il donne sa vision personnelle des évènements historiques dont il a été témoin ;
- le côté très informatif du récit. J’ai appris beaucoup de choses que j’ignorais sur l’histoire de la décolonisation, avec des débats intéressants sur le rôle du parti dans l’État, la langue à utiliser dans l’enseignement, ou encore la gestion des ressources naturelles ;
- la célébration du métissage et de la diversité.
J’aurais aimé…
- que l’auteur développe un peu plus l’impact de la vie politique sur sa vie privée. Lopes inclue de temps à autres dans son récit des considérations personnelles, sur sa vie de famille et sur sa relation avec sa femme Nirva. Mais ces allusions sont irrégulières et restent assez vagues. Sans aller jusqu’à révéler des détails personnels sur ses proches, l’auteur aurait pu faire état de ses réflexions, de sa fierté ou de ses regrets concernant la façon dont ses responsabilités politiques ont affecté son rôle de père et d’époux ;
- quelques mots d’explication sur la guerre civile de 1997 et sur le rôle joué par la compagnie pétrolière française Elf dans le conflit ;
- une quatrième de couverture plus représentative du contenu du livre. Le résumé de l’éditeur ne mentionne pas les responsabilités exercées par Henri Lopes et donne l’impression que le livre s’intéresse principalement aux origines de ses parents. Passés les premiers chapitres, le sujet est tout autre et j’ai personnellement été surprise de réaliser que j’étais en train de lire l’autobiographie d’un homme politique.
Merci à NetGalley et aux éditions J.C. Lattès de m’avoir permis de lire ce livre avant sa publication officielle le 5 septembre 2018.