Histoires d’un Massacre de Patricia Emsens est un roman original qui ravira à la fois les admirateurs de Bruegel (parfois orthographié Brueghel avec un « h », ce qui est le cas dans le livre) et les adeptes de récits intimes. La narratrice, Cecilia, est guide au sein de l’exposition Tableaux d’hiver de Brueghel à Wavre en Belgique. Mais sa relation avec le peintre et ses œuvres renferme une dimension très personnelle. En effet, Cecilia a grandi avec un original du célèbre tableau Le Massacre des Innocents, réalisé par Pieter Bruegel le Jeune d’après l’œuvre de son père.
Derrière cette représentation d’une scène assez violente inspirée de l’Ancien Testament (le massacre des enfants juifs de moins de deux ans ordonné par Hérode) se cache un traumatisme d’enfance, dont Cecilia cherche à se libérer. Une enfance au sein d’une famille d’expatriés belges en Argentine, secouée par les troubles politiques du pays dans les années 1970.
En effet, même si Histoires d’un Massacre n’est pas à proprement parler un roman historique, le récit alterne entre plusieurs lignes du temps, de l’achat du Massacre des Innocents par le grand-père de Cecilia à Anvers dans les années 1930 au lancement de l’exposition Bruegel à Wavre en 1993, en passant par la seconde guerre mondiale et les années de dictature militaire vécues de l’autre côté de l’Atlantique.
Histoire[S] d’un massacre
Le « s » du titre révèle par ailleurs un aspect intéressant du roman : chacun des membres de la famille de Cecilia développe des sentiments différents vis-à-vis du fameux tableau. Y compris le domestique tchèque de la famille, Rado, dont l’attitude à l’égard de Cecilia va changer radicalement une fois l’œuvre exposée au salon.
Alors que la quatrième de couverture fait craindre une superposition artificielle entre un récit personnel et un cours d’histoire de l’art, l’autrice parvient à intégrer de manière très naturelle les réflexions sur le tableau à l’intrigue romanesque. Son œuvre de fiction est un roman à part entière, ce qui n’empêche pas le lecteur de profiter des visites guidées organisées par Cecilia pour apprendre énormément de choses sur Bruegel et son œuvre. Parmi les autres tableaux évoqués au fil du récit, les Chasseurs dans la neige, le Paysage d’hiver avec trappe aux oiseaux, ou encore Le Dénombrement de Bethléem. Les parallèles entre ce dernier tableau et Le Massacre des Innocents sont d’ailleurs développés de manière très intéressante.
Attention : après la lecture du roman, vous aurez sans doute une envie pressante de visiter les nombreuses expositions organisées en Belgique en 2019 pour le 450e anniversaire de la mort de Pieter Bruegel !
J’ai aimé…
- L’histoire personnelle complexe mais authentique de la narratrice et de sa famille : des Belges ayant émigré en Argentine dont les enfants retournent ensuite au pays ;
- L’enthousiasme avec lequel la narratrice parle des tableaux de Bruegel. Ceux-ci sont décrits dans le détail mais sans pédantisme, laissant une grande place à l’imagination et au ressenti personnel. Les passages consacrés aux œuvres de Bruegel sont par ailleurs réparties de manière assez équilibrée au long du récit, ce qui évite toute lassitude ;
- Les courts passages racontés du point de vue de Rado, le domestique des parents de Cecilia, qui donnent un côté trouble et sombre au récit.
J’aurais aimé…
- Une couverture moins tristounette, donnant plus de place au tableau du Bruegel.
Merci aux éditions des Busclats de m’avoir permis de lire ce livre quelques mois après sa sortie officielle (en juin 2019).