Un peu plus d’un an avant Né d’aucune femme (2019), Franck Bouysse avait publié Glaise, un roman historique également récompensé – en l’occurrence par le Prix Libr’à Nous du meilleur roman francophone 2018. Glaise est désormais adapté en bande dessinée, avec pour résultat un bel album de 150 pages à l’ambiance sombre et aux dessins très réalistes.
Le poids de la guerre
J’avoue avoir été traumatisée par la lecture de Né d’aucune femme. Si je ne l’avais pas lu dans le cadre d’un club de lecture, j’aurais abandonné en cours de route. J’étais honnêtement très surprise qu’un tel roman ait rencontré autant de succès auprès des libraires et des lecteurs, et je n’avais pas particulièrement envie de retenter l’expérience en lisant un autre roman de Franck Bouysse. Grâce à la sortie de Glaise en roman graphique, j’ai trouvé le courage de donner une seconde chance à cet auteur. Comme je m’attendais à un roman « dur », j’espérais que la version graphique atténue un peu la violence des situations et la noirceur des personnages. J’ai l’impression que c’est le cas, même si l’ambiance reste très sombre et anxiogène.
L’intrigue de Glaise se déroule sur fond de Première guerre mondiale. En 1914, suite à la mobilisation générale, il ne reste plus beaucoup d’hommes dans la région rurale du Cantal. Les femmes doivent prendre le relais pour faire tourner les exploitations agricoles en attendant le retour des fils et des maris dont elles reçoivent des nouvelles au compte-gouttes. Le fermier Valette, réformé en raison d’une main atrophiée, est amer. Il aurait préféré partir au front. Sa rancœur s’abat sur sa nièce Anna, venue chercher refuge chez lui. La jeune adolescente s’éprend du petit Joseph, un voisin de son âge. Leur idylle, comme une petite lueur d’espoir en l’avenir, est malheureusement menacée par le sadisme de Valette.
Un sentiment d’isolement et une violence sournoise, omniprésente
Les dessins de Loïc Godart se cantonnent à des tonalités ocre et soulignent par des traits sans rondeurs les aspérités de visages, ce qui contribue à créer une ambiance oppressante. À la dureté des conditions de vie et l’angoisse de la guerre s’ajoute la violence menaçante du personnage de Valette, véritable Némésis du jeune couple formé par Anna et Joseph. Si le scénario parvient à faire monter la tension dramatique de manière efficace, on regrette l’utilisation d’une police de caractères peu lisible car trop petite ainsi que le recours trop fréquent à une voix off très « littéraire » qui tranche avec le naturel des dialogues.
Malgré ces petits défauts et la violence du propos, la version de Glaise en roman graphique fonctionne bien et permettra à ceux qui ne connaissent pas l’auteur de se faire une bonne idée de son style.
Article original publié dans Le Suricate Magazine