Entrez dans la danse est une bande dessinée historique sur un épisode mystérieux de l’histoire de la ville de Strasbourg : la « peste dansante » de 1518. Dans une sorte d’hystérie collective, plusieurs centaines d’habitants se mettent alors à danser… jusqu’à la mort.
La danse du désespoir
Après Charly 9 en 2013, c’est la deuxième fois que Richard Guérineau adapte un roman de Jean Teulé en BD. Publié en 2018 chez Julliard, le roman Entrez dans la danse transforme une anecdote historique oubliée en un drame plein d’enjeux et de mystère. Au début du XVe siècle, Strasbourg est un carrefour commercial prospère du Saint-Empire roman germanique. Parmi les symboles de cette prospérité : la magnifique cathédrale gothique de Notre-Dame.
Mais en 1518, la ville se remet difficilement de plusieurs catastrophes naturelles consécutives. Beaucoup d’habitants meurent de faim, à tel point qu’une femme décide de jeter son bébé à la rivière, faute de pouvoir le nourrir. C’est la femme du graveur, Enneline. Sa tristesse est si profonde qu’elle se met à danser de désespoir, sans plus pouvoir s’arrêter. D’autres habitants la rejoignent et, petit à petit, c’est une véritable épidémie de danse qui se répand. Dans une sorte d’hystérie collective, des centaines de Strasbourgeois-e-s dansent nuit et jour jusqu’à l’épuisement, voire jusqu’à la mort. En deux semaines, on compte près de 2 000 danseurs sur une population de 16 000 habitants !
L’Église catholique ébranlée
Face à ce phénomène inexplicable, les autorités sont démunies. Après l’échec des médecins, le maire de la ville se tourne vers l’Église, pour qui les danseurs sont des pécheurs, victimes d’une punition divine. La bande dessinée souligne d’ailleurs très bien le contexte historique dans lequel a lieu cet événement. Face au scandale des indulgences, à leur remise en cause par Martin Luther, et à la menace d’une invasion turque, l’Église catholique est plus intransigeante que jamais. Elle finit par mettre un terme à la « peste dansante », au prix de nombreux morts.
L’humour et la mort
Si Entrez dans la danse a le mérite d’offrir une description assez précise de l’enchaînement des évènements, le ton adopté contraste parfois avec la gravité du sujet. Adepte du style caustique de Teulé, Guérineau alterne régulièrement entre le drame, très sombre, et une forme d’humour assez grotesque. Il s’amuse ainsi, par exemple, à comparer les moines catholiques pris de la fièvre dansante à des derviches tourneurs – un clin d’œil à la menace turque.
Par rapport au roman, il insiste aussi fortement sur le caractère sexuel de la danse, montrant des scènes d’orgies et des corps largement dénudés. Son utilisation d’un langage moderne de registre familier dans les dialogues créé par ailleurs un effet comique, tout générant simultanément une certaine distanciation du lecteur par rapport à l’horreur de la situation.
Cette distanciation est heureusement contrebalancée par le récit du graveur et ses tentatives désespérés pour sauver sa femme de la « peste dansante ». Un personnage grâce auquel la situation prend une dimension humaine et intime.
Enfin, à côté de la superposition parfois un peu troublante entre drame et comédie, il faut saluer un bel effort de reconstitution historique dans les dessins. Maisons à colombage, cathédrale gothique, remparts… Qu’il s’agisse des rues de la ville comme des personnages, les illustrations sont un vrai plaisir pour les yeux.
Podcasts et vidéo bonus
Écoutez Jean Teulé parler de son roman et Richard Guérineau de sa BD sur France Culture.
Entretien avec Jean Teulé sur France Télévisions
Merci aux éditions Delcourt de m’avoir permis de lire ce livre au moment de sa publication officielle le 28 août 2019.