Ni chaînes ni maîtres est un film historique à la croisée du drame réaliste, du thriller, et du film de survie. Il offre une plongée dans la réalité de l’esclavage à l’Île Maurice (alors appelée Isle de France) au XVIIIe siècle. Mais c’est aussi et surtout un hymne au courage des marrons, ces esclaves qui, au risque de leur vie, ont défié le régime colonial en prenant la fuite pour vivre dans la clandestinité.
Derrière les plages de sable fin, l’enfer des plantations de canne à sucre
Ile Maurice, 1759. Massamba (incarné par l’acteur sénégalais Ibrahima Mbaye Tchie) est un esclave qui travaille dans la plantation de canne à sucre d’un colon français (Benoît Magimel). Désireux d’offrir un meilleur sort à sa fille Mati, qu’il rêve de voir s’établir comme couturière, il apprend le français pour servir d’interprète et gagner les faveurs de son maître. Mais un faux pas lui coûte sa place, et le maître menace de s’en prendre à sa fille pour le punir. Refusant d’être violée, Mati s’échappe dans la forêt en pleine nuit. Pour Massamba, c’est le déclic. Le moment est venu de briser ses chaînes et de tenter le tout pour le tout : fuir pour retrouver sa fille, mais aussi pour, enfin, vivre libre.
Une traque en pleine nature
À partir de la fuite de Massamba, Ni chaînes ni maîtres prend la tournure d’un film d’action à suspense avec le lancement d’une véritable chasse à l’homme. Madame La Victoire est recrutée pour retrouver l’esclave rebelle et sa fille. Cette femme atypique traverse la forêt à cheval avec ses deux fils pour capturer les fugitifs afin de leur infliger un châtiment exemplaire. Incarnée par Camille Cottin, La Victoire est inspirée d’un personnage historique, Michelle-Christine Bulle, chasseuse d’esclaves pour le compte de la Couronne de France.
Dans sa première partie, me film montre un réel souci de réalisme par rapport aux faits historiques. Toutefois, les dialogues des premières scènes ne sont pas toujours très naturels et semblent principalement servir à camper les personnages – dont la psychologie reste assez superficielle. Ainsi, on comprend que Massamba s’est noué d’amitié avec le fils de son maître, ou encore que La Victoire a été elle-même victime de violences dans son enfance. Mais l’influence du passé sur les personnages ne se ressent pas par la suite et n’aide pas vraiment les spectateurs à pénétrer dans leur for intérieur.
Une transformation personnelle en prélude à l’émancipation d’un peuple
Le seul personnage véritablement développé est celui de Massamba. Le film, structuré en trois temps, suit sa transformation personnelle. Après avoir courbé l’échine, Massamba entre en résistance. Livré à lui-même dans une nature luxuriante mais hostile (car il se sait traqué), il lutte pour sa survie à chaque instant. Dans la troisième et dernière partie, le rythme ralentit et Massamba passe du statut de fugitif à celui de « marron ». Il découvre alors une communauté solidaire vivant dans la clandestinité, hors de contrôle des colons. C’est ce qui permet à Massamba, issu d’une lignée de féticheurs, de reconnecter avec ses racines africaines et sa spiritualité. On assiste alors, dans une certaine mesure, à un renversement des rôles. L’esclave n’est plus le seul à avoir peur. Lui-même constitue une menace pour les blancs, et pour l’ordre colonial dans son ensemble. Cette transformation n’est pas seulement celle d’un homme. C’est aussi la revanche d’un peuple, évoquée à travers des séquences à la dimension onirique, quasi fantastique, faisant intervenir la voix off de la femme défunte de Massamba. Cette dernière partie traîne un peu en longueur mais elle a le mérite d’offrir une autre dimension au film. Il en est de même pour la scène finale. Si celle-ci s’éloigne du réalisme historique, elle offre une certaine catharsis et confronte le spectateur a une autre perspective : celle des « marrons », vus non pas de simples victimes d’un système d’oppression d’une violence extrême, mais aussi comme des sujets héroïques, acteurs de l’Histoire et maîtres de leur destin.
Article original publié dans Le Suricate