Miles et Juliette, c’est l’histoire de deux artistes que rien ne prédisposait à se rencontrer. Pourtant, le musicien de jazz noir-américain et la muse des existentialistes parisiens ont vécu une idylle aussi courte qu’intense en 1949. Un récit emblématique de l’effervescence artistique et intellectuelle du Paris de l’après-guerre.
Saint-Germain des Prés et le jazz
En 1949, Miles Davis est une étoile montante du jazz à New York. Il n’a que 22 ans mais il a déjà joué avec les plus grands – notamment ses mentors Dizzy Gillespie et Charlie Parker, dit « Bird ». Invité au Festival international de jazz à Paris, il découvre la capitale française et y passe une semaine inoubliable parmi les artistes et les intellectuels de l’époque tels que Boris Vian, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
Alors que les Noirs subissent encore de plein fouet la ségrégation et la discrimination aux États-Unis, Miles et ses comparses se grisent de la liberté dont ils bénéficient à Paris. Épris de jazz, les Parisiens adulent ces musiciens d’outre-Atlantique. La couleur de leur peau semble être un objet d’admiration plutôt que de rejet.
C’est dans ce contexte que Miles rencontre Juliette Gréco. Jeune actrice et chanteuse, Gréco évolue au sein des cercles bohèmes de St Germain des Près. Ses premières chansons sont écrites par Jean-Paul Sartre, Raymond Queneau et Joseph Kosma. Adepte de l’amour libre, elle tombe immédiatement amoureuse de Miles Davis, malgré le fossé qui les sépare.
Une idylle éclair
Miles est alors déjà père de deux enfants, une famille qu’il néglige au profit de sa carrière de jazzman. Colérique et buté, il n’a pas que des amis dans le milieu. Fasciné par Juliette, il découvre un autre type de relation ou homme et femme se traitent d’égal à égal, sans avoir le mariage comme objectif. Il envisage brièvement de tout plaquer pour rester à Paris mais décide finalement de rentrer à New York une fois le festival terminé.
Dans Miles et Juliette, Salva Rubio imagine la nature de la relation entre les deux artistes en se basant sur les maigres témoignages laissés par les deux intéressés. Le dessin de Sagar, aux traits rapides et aux couleurs sombres, évoque un monde nocturne aux ambiances parfois violentes et angoissantes, parfois chaleureuses et débridées. Les personnages sont bizarrement souvent entourés d’un halo lumineux, comme pour souligner le caractère « électrique » des leurs relations.
S’il est un peu difficile d’entrer dans cet univers pour les lecteurs qui ne connaissent pas grand-chose au jazz, on ne peut s’empêcher de ressentir l’énergie positive unique véhiculée par la musique dans les soirées parisiennes de l’époque. Comme le dit Miles dans la BD :
Certains endroits du monde définissent entièrement la façon dont l’humanité percevra une époque. Et par comparaison, le reste du monde semble ne pas exister. Paris était cet endroit.
J’ai aimé…
- La façon dont la BD reconstitue l’effervescence intellectuelle et artistique du quartier de St Germain des Près à Paris à la fin des années 1940 ;
- Les annexes historiques, très bien faites.
J’ai moins aimé…
- Le dessin de Sagar, sombre et « dur », donnant à Miles Davis un visage presque maléfique et angoissant.
Merci aux éditions Delcourt de m’avoir permis de chroniquer cet ouvrage peu après sa publication le 16 octobre 2019.