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Les fantômes de l’Internationale

Les fantômes de l’Internationale est un bel ouvrage illustré qui retrace l’histoire du célèbre hymne du mouvement ouvrier, repris aujourd’hui encore dans les réunions des partis communistes et socialistes du monde entier. Un livre inclassable entre essai historique, enquête journalistique, récit graphique, et témoignage engagé.

« Debout, les damnés de la terre… »

Imprimé en bichromie rouge et noir, l’ouvrage est illustré par Edmond Baudoin, dessinateur et auteur de bande dessinée français connu pour son engagement à gauche. Dans les trente premières pages, il met en images les paroles de la chanson. Combinant traits fins et épais, nets et estompés, il souligne avec force la dureté et la violence de la réalité sociale décrite par le chant révolutionnaire, tout en relayant également son message de solidarité et d’espoir. Pour plus de frissons, cette première partie peut aussi se lire en écoutant la chanson en fond sonore !

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Élise Thiébaut, journaliste à Mediapart, offre un récit original, à la fois personnel et documenté, sur l’histoire de l’Internationale mais aussi de ses concepteurs, largement éclipsés par la postérité. En 2017, elle découvre par hasard que l’Internationale n’est pas encore tombée dans le domaine public, mais que des droits d’auteur sont perçus pour sa diffusion. Choquée, elle mène l’enquête pour essayer de comprendre qui détient ces droits.

Des auteurs oubliés

Les fantômes de l’Internationale est donc le résultat de ces recherches. On y apprend que l’auteur du poème, comme le compositeur de la musique, sont morts dans la pauvreté, sans même s’être jamais rencontrés. Eugène Pottier, tout d’abord, semble avoir écrit le texte en 1871, alors qu’il est engagé dans la révolte populaire qu’est la Commune de Paris. Artisan plutôt qu’ouvrier, il s’engage dans le socialisme et écrit des poèmes tout au long de sa vie. Certains sont chantés dans les « goguettes », ces sociétés festives encore populaires à la fin du XIXe siècle.

Après la publication du texte de l’Internationale dans un recueil de chants révolutionnaires en 1887, les paroles sont d’abord chantées sur l’air de la Marseillaise (!). Puis, en 1888, le belge Pierre Degeyter est chargé par Gustave Delory, un militant communiste lillois, de créer une musique originale. C’est la « mélodie » de l’Internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Un succès planétaire

Après avoir été chantée lors de la proclamation de la IIe Internationale à Bruxelles en 1889, l’Internationale gagne en popularité. Elle commence à être traduite en plusieurs langues (parfois dans des adaptations très « libres », comme en anglais et en italien). Chant prolétaire mais aussi antimilitariste, voire anarchiste (avec une critique de l’État qui opprime les classes populaires via des impôts injustes) et athée (« Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César »), l’Internationale devient en 1922 (et jusqu’en 1944) l’hymne national de l’URSS.

Ce succès ne bénéficie malheureusement pas plus au compositeur car l’auteur des vers. Comme Pottier, Degeyter finit sa vie dans la pauvreté. En effet, son frère Adolphe s’est attribué la paternité de la musique, avant d’admettre son mensonge en 1915 et de se suicider l’année suivante. Comme le souligne Thiébaut :

Imperceptiblement, l’idée d’illégitimité s’est insinuée autour de la chanson et de la paternité de l’œuvre, avec son lot de névroses et de secrets.

(p. 98)

Malgré quelques digressions (notamment sur les relations entre Lénine et sa femme Nadeja Kruoupskaïa) et trop peu d’explications sur l’influence de l’Internationale hors de l’Europe, Les fantômes de l’Internationale est un ouvrage passionnant et informatif. Pour les inconditionnels de la gauche radicale comme pour les autres !

Article original écrit pour Le Suricate Magazine

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