Les romans de Colette ont marqué plusieurs générations de femmes. Plus d’un siècle après sa publication, la série des Claudine (Claudine à l’école, Claudine à Paris…) est encore lue dans les écoles, même si peu de lecteurs savent démêler la part de fiction de la part autobiographique dans ces récits sur l’entrée dans l’âge adulte d’une jeune Française au tournant du XXe siècle.
Le film de Wash Westmoreland, avec Keira Knightley dans le rôle-titre, offre une version à la fois romancée et bien documentée de la vie de Colette, de sa rencontre avec Willy jusqu’à leur séparation. Incarné par un Dominic West à la fois roublard et attachant, Willy est un entrepreneur littéraire qui emploie des « écrivains fantômes » pour produire des publications diverses grâce auxquelles il compte bien s’enrichir. Son bagou et son accès aux salons parisiens séduisent la jeune Colette, qu’on appelle alors encore Gabrielle. Ayant grandi à Saint-Sauveur en Bourgogne, elle découvre après son mariage le Paris de la Belle époque : une ville qui impressionne par son ébullition artistique et son attrait pour la liberté, mais aussi un lieu de corruption des mœurs, où les apparences priment trop souvent sur l’authenticité des sentiments.
En s’intéressant à cette période charnière dans la vie de Colette, le film donne à voir la période de formation d’une écrivaine, dans l’ombre de son mari, puis son émancipation sexuelle, affective, et enfin intellectuelle. Classique dans sa forme, il aborde un nombre important de sujets sur le fond. L’évolution de la relation ambiguë entre Willy et Colette, passionnelle mais déséquilibrée, occupe une place de choix dans le scénario. La bisexualité de Colette, alors scandaleuse, est présentée comme l’élément déclencheur qui lui permet de s’affranchir de la tutelle de Willy et d’obtenir la reconnaissance en tant qu’écrivaine en son nom propre.
Malgré son absence de ressemblance physique avec la véritable Colette, Knightley parvient à donner à son personnage ce mélange de fougue et d’authenticité qui en fait une femme en rupture avec les conventions de son temps. Son attrait pour le mime et le théâtre, ainsi que sa relation quasi publique avec la marquise de Belbeuf, constituent un tournant qui la mène à quitter son mari vers 1906 et à entamer une nouvelle étape de sa vie d’écrivaine. C’est ici que le film s’arrête, sans véritablement évoquer la (riche) carrière littéraire qui s’en suit, ni le remariage de Colette en 1912 puis en 1935.
En plus de révéler la personnalité hors norme de Colette, le film a le mérite de mettre en lumière un aspect aujourd’hui souvent oublié : la folie médiatique qui s’est emparée des « Claudine » dans les années 1900. Coupe de cheveux, tenue d’écolière, merchandising… le succès phénoménal des premiers romans de Colette a donné lieu à un tel engouement que le personnage de Claudine est devenu une sorte d’alter ego pour son auteure : un double dont, tout comme Willy, elle aura du mal à s’affranchir.
Article original écrit pour Le Suricate Magazine