Photographie d'un panneau indiquant un haut niveau de radioactivité à Pripyat, Chernobyl, Ukraine, 26 mars 2011.

Chernobyl, la série

La série historique évènement d’HBO sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl est-elle fidèle à la vérité historique ? Alors qu’aux États-Unis et en Europe, Chernobyl est encensée par la critique, la Russie dénonce plusieurs inexactitudes flagrantes. Un réalisateur russe, Alexei Muradov, prévoit d’ailleurs de boucler prochainement une nouvelle fiction offrant une version alternative des faits. Que doit-on penser de la série américaine ?

Un réel effort de reconstitution historique

Tournée en Lituanie plutôt qu’en Ukraine, Chernobyl offre une vision assez réaliste de ce à quoi ressemblait la ville de Pripyat en avril 1986, au moment où l’accident s’est produit. Située à la frontière biélorusse, cette ville aujourd’hui désaffectée comptait alors près de 50 000 habitants, dont beaucoup de jeunes ménages avec enfants. Pour la majorité d’entre eux, la proximité de la centrale nucléaire n’était pas une source d’inquiétude. Le premier des cinq épisodes de la série montre d’ailleurs des habitants plus intrigués que paniqués par la fumée générée par l’incendie, n’hésitant pas à admirer le spectacle en famille.

Du côté des costumes et des décors, la mode soviétique du milieu des années 1980 est assez fidèlement reproduite. Toutefois, les personnages ont beau se donner du « camarade » à gogo, certaines scènes et dialogues ont des accents trop hollywoodiens pour être crédibles. C’est le cas par exemple lorsque la série montre le ministre de l’énergie en train de recruter des mineurs pour creuser un tunnel sous la centrale incendiée (3e épisode), ou lorsque l’un des témoins au procès des dirigeants de la centrale se lance dans une dénonciation lyrique de la culture du mensonge et de la propagande dans le système soviétique (5e épisode).

Comprendre l’incompréhensible

Concernant les aspects techniques, le scénario de Craig Mazin a le mérite d’adopter une approche à la fois précise et didactique. Tout en cherchant à restituer les principales péripéties des opérations de sauvetage, celui-ci prend quelques libertés avec les détails et la chronologie, comme par exemple lorsqu’il met en scène le crash d’un hélicoptère au-dessus de la centrale.

Comme souvent dans ce type de catastrophes, les experts étaient persuadés qu’un accident d’une telle ampleur était impossible. Plus précisément – que le cœur d’un réacteur nucléaire ne pouvait pas exploser. L’interrogation centrale de la série (« comment cela a-t-il pu arriver ? ») est ainsi habilement exploitée pour créer un suspense haletant.

L’originalité de Chernobyl est par ailleurs de suivre les évènements du point de vue des scientifiques plutôt que des ingénieurs ou des responsables politiques. Chargé par le gouvernement de développer des solutions techniques pour limiter les dégâts, Valeri Legassov est un chercheur universitaire, directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kourchatov. Brillamment interprété par Jared Harris, Legassov apparaît comme un esprit libre, déterminé à faire bouger la bureaucratie pour sauver un maximum de vies. Le duo improbable qu’il forme avec le dignitaire communiste Boris Chtcherbina (Stellan Skarsgård), vice-président du Conseil des ministres, offre une dynamique intéressante entre d’une part la realpolitik du gouvernement (soucieux de préserver l’image de l’URSS à l’étranger et de ne pas effrayer la population) et d’autre part l’approche plus « idéaliste » d’une partie de la communauté scientifique.

Les héros et les méchants de Chernobyl

Si la série est, sans surprise, très critique envers le système soviétique, elle évite néanmoins certaines généralisations trop grossières. Ainsi, Chtcherbina comme Gorbatchev sont présentés sous un jour plutôt favorable. Conscients de leurs responsabilités, ils prêtent une oreille attentive aux recommandations des experts et n’hésitent pas à prendre des décisions coûteuses et difficiles pour préserver la sécurité des citoyens. Les « sauveteurs » sont par ailleurs également héroïsés comme il se doit. Conscients (du moins en partie) des risques encourus, ces hommes « ordinaires » se montrent prêts à sacrifier leur vie pour le bien commun.

Dans ce monde exclusivement masculin, Ulana Khomyuk (Emily Watson), chercheuse à l’Institut de l’énergie nucléaire de Biélorussie, apparaît comme la seule voix féminine – symbolisant aussi une certaine conscience morale. Personnage fictif inspiré des divers scientifiques ayant épaulé Legassov dans ses travaux, elle participe à l’enquête officieuse sur les causes de l’accident en interrogeant les principaux survivants parmi le personnel de la centrale.

En plus de dénoncer tout un système, la série désigne clairement les coupables : Viktor Bryukhanov, le directeur de la centrale, Nikolai Fomin, l’ingénieur-chef, et Anatoly Dyatlov, son irascible adjoint en charge des opérations sur place le soir du drame. Mais la controverse générée par Chernobyl n’est pas seulement liée à la façon dont la série distribue des bons ou des mauvais points aux protagonistes. Pour certains observateurs, le nombre de victimes et le lien établi par la série entre la radioactivité libérée par l’accident nucléaire et la mort de divers individus sont exagérés. Un débat jamais véritablement tranché qui ne date pas d’hier…

Une œuvre de fiction avant tout

Au final, Chernobyl reste avant tout une œuvre de fiction, dont le succès doit plus à la qualité des acteurs, du scénario, et de la réalisation, qu’au sujet lui-même. En attendant de découvrir la version russe (qui offrira sans aucun doute des comparaisons intéressantes), libre à chacun de développer son esprit critique en se plongeant dans la floppée d’articles et de films documentaires consacrés à ce qui demeure la pire catastrophe nucléaire de l’histoire mondiale. Les optimistes y verront peut-être aussi une occasion de tirer des leçons du passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs à l’avenir.

Une réflexion sur “Chernobyl, la série

  1. hauntya dit :

    Je ne suis d’habitude jamais trop fan des séries historiques, mais celle-ci m’intrigue depuis que j’en ai entendu parler. Je suis contente de lire ton avis là-dessus pour m’en faire une meilleure idée, au-delà de toutes les bonnes critiques qu’elle semble récolter. Il y a quand même un côté romancé qui n’échappe pas à toute fiction historique…Mais elle a l’air, malgré tout, plutôt bien faite dans l’ensemble. La version russe donnera sûrement une toute autre version des faits, dans une confrontation intéressante des points de vue historiques !

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