Portrait de l'impératrice Elisabeth d'Autriche « en épaule » par Franz Xaver Winterhalter (1865)

Corsage, le côté sombre de l’impératrice Sissi

Avec Corsage, la réalisatrice autrichienne Marie Kreutzer revisite la figure mythique de Sissi, l’impératrice Élisabeth d’Autriche (1837-1898). Plutôt qu’un drame historique classique, elle propose un film sombre et introspectif sur la fragilité mentale d’une femme incapable de se définir autrement que par son pouvoir de séduction et terrifiée à l’idée de vieillir. Malgré certaines longueurs, Vicky Krieps offre une belle performance d’actrice et mérite amplement le prix qui lui a été décerné dans la catégorie « Un certain regard » lors du dernier Festival de Cannes.

Un corset à la fois réel et symbolique

Sans évoquer la jeunesse de Sissi ni même ses premières années en tant qu’impératrice aux côtés de François-Joseph, Corsage se limite presque exclusivement à l’année 1878 – celle des 40 ans de Sissi. Pour une femme réputée pour sa beauté et sa taille de guêpe, le choc est rude : le passage des années entame son pouvoir de séduction et questionne jusqu’à son identité. Quel rôle peut-elle encore jouer à la Cour impériale, maintenant que son fils, l’héritier du trône, a atteint l’âge adulte ? Comment peut-elle se faire respecter alors que François-Joseph la cantonne à un rôle de représentation, refusant de l’impliquer dans la gestion de l’empire ?

Anorexique, accro à l’exercice physique et obsédée par son tour de taille, Elisabeth se trouve prise à son propre piège. Pour continuer d’exister aux yeux des autres, elle doit maintenir une image de perfection, qui est pourtant de moins en moins atteignable. La Sissi incarnée par Vicky Krieps est donc une femme tourmentée, insatisfaite, à la fois nostalgique de sa gloire passée et désireuse d’échapper aux diktats de la Cour. Le rituel du serrage de corset devient ainsi une scène de torture auto-infligée, symbole d’un enfermement et d’une discipline imposés par l’extérieur.

Une manipulatrice narcissique aux antipodes de l’ingénue incarnée par Romy Schneider

Sissi a besoin d’air. Elle décide d’entreprendre plusieurs voyages à la rencontre de vieilles connaissances : en Angleterre, en Bavière, en Hongrie, ou encore en Italie. Les lieux visités sont souvent des palais en ruines, aux murs usés, faisant écho au déclin physique de la vieillesse mais aussi à celui de la monarchie, une institution mise à mal par le désir d’autodétermination des peuples. Le contexte historique est toutefois très secondaire, et nombreuses sont les libertés prises avec la chronologie (introduction du cinéma, évocation de Sarajevo en « prémonition » de l’attentat qui aura lieu plusieurs décennies plus tard…). La bande son du film, avec l’usage récurrent de la très belle chanson She was de Camille, renforce d’ailleurs cette impression d’anachronisme.

Si l’on peut pardonner ce choix délibéré de rompre avec les codes du film historique pour privilégier le portrait psychologique, Corsage déçoit malgré tout par certaines longueurs et par la faiblesse des personnages secondaires qui gravitent autour de l’impératrice. À l’opposé de la jeune idéaliste ingénue de la trilogie des années 1950, la Sissi quadragénaire incarnée par Vicky Krieps est une femme égoïste et capricieuse dont l’équilibre mental est de plus en plus précaire. Elle use et abuse de son statut pour transmettre son mal-être à son entourage, qu’il s’agisse de vieux amants qu’elle cherche à reconquérir, de ses enfants sur lesquels elle perd le contrôle, ou de ses suivantes. Le dernier quart du film marque d’ailleurs une accélération dans la dépression avec l’emprise croissante exercée par Sissi sur sa dame de compagnie Marie (incarnée par Katharina Lorenz) qu’elle façonne comme une doublure pour mieux échapper à son destin. Pourtant, on peut se demander si l’émancipation hors du corset est une véritable libération – ou s’il ne s’agit pas plutôt d’une ultime étape avant de sombrer dans la folie.  

Article original écrit pour Le Suricate Magazine.

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