La fille aux cheveux turquoise est un très beau roman graphique qui mêle avec bonheur histoire et fiction. Son héroïne, Giovanna Ragioneri, n’était qu’une petite fille lorsqu’elle rencontra un peu par hasard Carlo Lorenzini (dit Collodi), l’auteur de Pinocchio. Une rencontre qui changera sa vie à jamais.
Une amitié improbable
En 1875, Giovanna est une petite fille de sept ans. Son père travaille comme jardinier dans une somptueuse villa de campagne en Toscane. Celle-ci appartient au directeur d’une manufacture de porcelaine qui n’est autre que le frère de Collodi, qui a alors près de 50 ans. Parce qu’elle lui rappelle sa petite sœur Marianna disparue alors qu’elle était encore enfant, Collodi va s’attacher à la petite Giovanna. Il profite de ses visites chez son frère pour passer du temps avec elle : lui raconter des histoires, et écouter les siennes. Cette complicité atypique, étant donné les différences d’âge et de classe sociale, est d’abord vue avec circonspection par leur entourage. Mais elle s’installe dans le temps, à tel point que les reflets bleutés des cheveux blonds de Giovanna vont inspirer à Collodi le personnage de la fée bleue dans son chef-d’œuvre Pinocchio, publié en 1881.
Un dialogue imaginaire, au-delà de la mort
Traduit de l’italien, La fille aux cheveux turquoise est une histoire pleine de tendresse qui s’intéresse au point de vue de Giovanna. L’album se divise en deux grandes parties. Dans la première partie, la jeune fille grandit en découvrant, non sans fierté, l’histoire de Pinocchio, publiée en feuilleton de plusieurs épisodes dans le Giornale dei bambini. La deuixème partie, après une sorte de « fast forward », montre Giovanna dans son grand âge, alors que le souvenir de Collodi refait surface. Tout au long du récit, l’autrice-illustratrice Elena Triolo utilise un procédé narratif intéressant qui consiste à faire dialoguer les deux personnages en voix off. En plus des dialogues en mode « bulles », des cadres bleus et jaunes font dialoguer Giovanna et Collodi dans une sorte de correspondance imaginaire. Ce procédé permet de souligner la bienveillance des deux personnages l’un envers l’autre tout en montrant l’influence parfois déterminante que la rencontre avec une personne peut exercer sur toute une vie. Le ton du récit, plein de tendresse, est d’ailleurs renforcé par les illustrations aux couleurs douces et aux traits nets, évocateurs de l’innocence de l’enfance.
Une fresque historique
Si La fille aux cheveux turquoise contient plusieurs références aux aventures de Pinocchio, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le roman pour apprécier la bande dessinée. Une connaissance de l’histoire italienne permet en revanche d’apprécier le contexte historique servant de toile de fond à l’histoire de Giovanna : dans la première partie, l’unification de l’Italie et, dans la deuxième partie, la montée du fascisme et la seconde guerre mondiale. Les allusions à la guerre et aux drames personnels vécus par Giovanna donnent en quelque sorte une autre dimension à la « nostalgie » de Pinocchio qu’elle ressent en fin de vie. Après avoir « oublié » la fée bleue pendant de longues années, renouer avec le souvenir de Collodi après la guerre permet à la vieille femme de retrouver un peu de joie de vivre auprès des enfants fascinés à l’idée de rencontrer la « fée bleue ».
Plus qu’une simple BD biographique, La fille aux cheveux turquoise est un album original qui rend hommage à la création littéraire et au pouvoir de l’amitié de faire tomber les barrières. On apprécie aussi particulièrement le petit format avec les pages en papier glacé. Un album à recommander à tous ceux qui aiment explorer les liens entre histoire et fiction.
Article original publié dans le magazine Le Suricate