Hélène et Pâris, détail d’un cratère en cloche à figures rouges apulien, vers -380 ou -370 av. J-C., Musée du Louvre, Paris.

Le silence des vaincues ou la guerre de Troie au féminin

Le silence des vaincues (The Silence of the Girls pour le titre original en anglais) de Pat Barker est un roman historique qui revisite de manière originale le mythe de la guerre de Troie en adoptant le point de vue des femmes. Personnages forts et tourmentés, style brut, atmosphère à la fois très réaliste et marquée de petites touches de surnaturel (mythologie oblige)… font partie des ingrédients qui rendent le récit puissant et immersif.

Des femmes captives face à un conflit de loyautés

L’héroïne du Silence des vaincues, Briséis, est la femme de Mynès, le roi de Lyrnessos, une ville alliée de Troie. Lorsque celle-ci est saccagée puis conquise par les Grecs, menés par le roi Agamemnon et son guerrier Achille, Briséis est faite prisonnière. Elle est alors offerte comme esclave à Achille qui la considère comme son « butin de guerre ». Humiliée, Briséis se voit contrainte d’ouvrir les cuisses chaque soir pour l’homme qui a tué son mari et ses frères. Comme les autres survivantes faites prisonnières, elle se trouve donc dans une situation impossible : d’un côté, elle rêve de revanche et souhaite la défaite de ses geôliers Grecs contre les Troyens. D’un autre côté, cantonnée dans le camp militaire grec, son seul espoir de salut est d’être épousée par un dignitaire et de lui faire un enfant pour échapper au sort peu enviable des esclaves « communes », soumises aux pires brutalités.

Une guerre d’egos

Si l’enlèvement d’Hélène par le Troyen Pâris, fils du roi Priam, est la cause première de la guerre de Troie, on oublie parfois que d’autres femmes ont également été un enjeu central du conflit. Considérées comme de simples possessions, véritables esclaves sexuelles des hommes, leur rapt et leur échange rythment les différentes étapes de la guerre. Ainsi, Agamemnon ne se résout à rendre Chriséis à son père, un prêtre du temple d’Apollon, qu’après que la peste s’est abattue sur ses troupes. De même, la confiscation de Briséis par Agamemnon marque une rupture entre les deux hommes… jusqu’à ce qu’Agamemnon s’incline, conscient d’avoir besoin d’Achille pour gagner la guerre de Troie.

Dans Le silence des vaincues, Hélène n’est qu’un personnage secondaire et l’épisode du cheval de Troie est occulté. L’autrice s’amuse à piocher dans les différentes interprétations du récit mythologique pour créer sa propre version, qu’il s’agisse par exemple de la légende du talon d’Achille ou de la relation entre Achille et Patrocle.

La résilience des femmes face à la violence aveugle des hommes

En narrant toutes ces péripéties du point de vue d’une esclave troyenne, Pat Barker souligne la violence des combats, telle qu’elle est décrite sans fard dans L’Iliade d’Homère (scènes de massacres, sacrifices « pour l’exemple », acharnement sur le corps sans vie d’Hector…), mais surtout la façon dont celle-ci est indissociable de la violence sexuelle envers les femmes. Les scènes décrites sont parfois insoutenables (viols, humiliations symboliques comme lorsqu’Agamemnon crache dans la bouche de ses esclaves), et pourtant les femmes résistent, à leur manière, s’entraidant les unes les autres, tentant de donner un sens à leur vie en soignant les blessés ou en transmettant le souvenir des martyrs troyens à leurs enfants grecs.

C’est sur l’évocation de cette nouvelle génération que se termine Le silence des vaincues. Le tome suivant, Les exilées de Troie (The Women of Troy), est sorti aux éditions Charleston début 2022 et devrait bientôt être disponible en format poche.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.