Figuier.

L’Île aux arbres disparus : la partition de Chypre et ses blessures intimes

La bâtarde d’Istanbul m’avait donné envie de lire un autre livre d’Elif Shafak. L’Île aux arbres disparus (The Island of missing trees pour le titre original en anglais) ne m’a pas déçue. Ce roman à triple ligne du temps évoque la partition sanglante de l’île de Chypre pendant les années 1970 et ses effets sur un jeune couple turco-grec exilé à Londres. Un très beau roman sur l’emprise de l’Histoire sur les individus, le rapport à la nature, et la transmission intergénérationnelle.

La guerre civile

Après la montée des tensions entre Grecs et Turcs pendant les années 1950 et 1960, l’été 1974 est marqué par une véritable guerre civile à Chypre. Suite au coup d’État fomenté par la dictature des colonels grecs contre le président Makários III, la Turquie décide d’intervenir militairement, cristallisant la partition de l’île en deux camps, grec et turc, et coupant la capitale, Nicosie, en deux. Sans entrer trop en détail dans le contexte historique, L’Île aux arbres disparus évoque le choc vécu par les citoyens chypriotes à travers le jeune couple d’adolescents formé par Kostas, issu d’une famille grecque, et Defne, issue d’une famille turque.  

Ceux qui partent, ceux qui restent

Réfugié à Londres pendant les troubles, Kostas perd la trace de Defne pendant plusieurs années. Lorsqu’il se retrouvent au début des années 2000, chacun a « digéré » le passé de manière différente, mais leur attirance réciproque reste intacte. De ce couple improbable naît Ada. Seize ans plus tard, l’adolescente, élevée en Angleterre, s’interroge sur le passé douloureux de ses parents. Elle ne sait presque rien de Chypre. Pourtant, elle sent que c’est bien là que se trouve la clé pour comprendre bien des phénomènes : les silences de sa mère, l’absence de sa tante, l’amour de son père pour le figuier planté dans le jardin…

Un arbre narrateur

Le thème de la mémoire est en central dans L’Île aux arbres disparus. Le roman aborde non seulement la façon dont les traumatismes parentaux peuvent être transmis aux enfants comme Ada, de manière inconsciente, mais aussi le travail de deuil, de recherche des disparus, ou encore le lien entre nature et mémoire. En faisant parler un arbre, un figuier de Chypre transplanté en Angleterre, l’autrice donne une petite touche de poésie et de surnaturel à son récit. Mais elle utilise aussi cette technique pour prendre du recul sur ses personnages et interroger le « temps long », contrastant le rythme de la nature avec celui des hommes. La relation aux esprits est par ailleurs évoquée à travers le personnage de la tante, Meryem, qu’Ada va peu à peu apprendre à apprécier malgré leurs tempéraments opposés. Si l’ensemble de ces thèmes se trouvaient déjà dans La bâtarde d’Istanbul, j’ai personnellement trouvé L’Île aux arbres disparus encore plus réussi, notamment grâce à un bon équilibre entre les trois lignes du temps et à l’alternance des points de vue qui rend chacun des personnages particulièrement attachant.

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