Image d’en-tête : Portrait de la famille “W” en 1913 : Des enfants métisses (de mère africaine-américaine et de père blanc) avec leur cousin (détail). Photographie tirée du livre "The United States of the United Races: A Utopian History of Racial Mixing" de Greg Carter (NYU Press, 2013), p. 110.

L’autre moitié de soi ou la quête d’une identité dans l’Amérique ségrégationniste

L’autre moitié de soi (The Vanishing Half pour la version originale en anglais) est un roman magnifique et profond qui interroge l’identité et la race dans l’Amérique des années 1950 à 1980. À travers le destin opposé de deux jumelles métisses, Brit Bennett montre que, davantage que les gènes ou l’environnement familial, ce sont nos choix de vie qui font de nous ce que nous sommes.

S’affranchir des liens du sol et du sang


Couverture du roman « L’autre moitié de soi » de Brit Bennett (Autrement, 2020)

Dans L’autre moitié de soi, l’autrice imagine un village du sud des Etats-Unis, Mallard, où vivent des métisses dont la couleur « claire » est leur fierté. Dans les années 1950, le pays est encore fortement ségrégé et les personnes de couleur n’ont pas accès aux mêmes transports, aux mêmes lieux de détente, aux mêmes emplois que les Blancs. Pour un Africain-américain à la peau claire, il existe un fantasme, une transgression ultime qui est aussi la promesse d’une vie meilleure et véritablement libre : se faire passer pour un Blanc.

Désirée et Stella, deux jumelles ayant grandi à Mallard, ont vu leur père battu à mort par des suprémacistes blancs. Depuis, elles rêvent de quitter Mallard. Stella, plus discrète, cherche la sécurité, tandis que Désirée, la rebelle, veut s’affranchir de l’obsession ambiante qui fait de la couleur de peau un élément déterminant de l’identité des habitants du Sud. Un beau jour, en catimini, les deux jeunes femmes s’enfuient pour la Nouvelle-Orléans. Le début d’une nouvelle vie qui prendra un tournant radicalement différent pour l’une et pour l’autre. Avec, toujours, un passé qui les hante et qu’elles vont devoir apprendre à apprivoiser.

J’ai beaucoup aimé…

  • La réflexion sur l’altérité et l’identité : On croit connaître l’autre mais on ne le connaît vraiment jamais tout à fait. Même dans le cas de vraies jumelles comme Désirée et Stella, chacune vit différemment ses traumatismes d’enfance et développe sa propre stratégie de survie. Le roman est une ode à la liberté, en quelque sorte : si le passé nous influence, nous restons libres de nous en détacher et de lui donner le sens que nous voulons pour avancer vers la vie que nous choisissons. Même si s’éloigner de la voie toute tracée est souvent un processus douloureux. Une autre question fascinante est celle du mensonge et de la façon dont, à force de répétition, celui-ci finit par devenir une vérité pour la personne qui en est à l’origine.
  • La description de la façon dont la question raciale obsédait l’Amérique des années 1950-1960 et le rôle des personnes métisses dans la remise en question de la ségrégation. Comme dans le cas de personnes transgenre, auquel le personnage de Reese fait écho, les personnages qui changent d’identité de race bousculent les certitudes et les représentations sur les hiérarchies sociales. Leur transgression est à la fois taboue, source de malaise, mais aussi incroyablement libératrice.
  • La question de la transmission et des non-dits. Au final, plus que la question de la couleur de peau, c’est surtout la transmission du « récit » familial et le poids des secrets qui influencent l’identité des individus. La relation de Désirée et de Stella avec leurs filles respectives est très intéressante à cet égard. Peut-on vraiment connaître et aimer quelqu’un sans rien savoir de son enfance, de son passé ?
  • Le style de l’autrice. À travers les différents points de vue et les sauts dans le temps, Brit Bennett nous permet de découvrir ses personnages sous différents angles et ainsi de mieux les comprendre. Aucun jugement moral n’est imposé et l’autrice laisse suffisamment de place au lecteur pour s’identifier et se faire sa propre opinion. Il n’y a aucun temps mort et je me suis vraiment sentie absorbée par le récit dès les premières pages.
  • La fin. Je craignais une fin convenue comme dans la plupart des films et romans américains à la morale « There’s no place like home ». Le dénouement de L’autre moitié de soi est, heureusement, beaucoup plus subtil que cela.

Vidéo bonus : Interview avec l’autrice

Image d’en-tête : Portrait de la famille “W” en 1913 : Des enfants métisses (de mère africaine-américaine et de père blanc) avec leur cousin (détail). Photographie tirée du livre The United States of the United Races: A Utopian History of Racial Mixing de Greg Carter (NYU Press, 2013), p. 110.

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