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Entretien avec Emmanuelle Nuncq sur l’histoire, la fiction… mais aussi la couture et le steampunk !

Emmanuelle Nuncq

Née en France, Emmanuelle Nuncq s’est installée à Bruxelles après ses études de littérature. Passionnée d’histoire, elle a publié son premier roman, Porcelaines, en 2010. Ont suivi Bordemarge en 2012, la trilogie Palimpsestes en 2016, puis Les Chercheurs du Temps l’année suivante. Sous le pseudonyme de Camille Adler, elle a aussi publié deux romances historiques, Rose Soie et Incroyable Charlotte. Dans Beveridge Manor, publié cette année, elle poursuit son exploration romanesque des voyages dans le temps avec un hommage à l’univers de Jane Austen.

Le thème du voyage dans le temps vous a inspiré plusieurs romans. D’où vous vient cet attrait pour la confrontation présent/passé ?

Tout a commencé quand j’ai vu pour la première fois la trilogie Retour vers le Futur. Je devais avoir neuf ou dix ans. Depuis, je n’ai plus jamais cessé de m’intéresser à ce thème, d’imaginer des intrigues et de réfléchir à des paradoxes temporels. Je trouve que le voyage dans le temps offre de très larges possibilités. On peut tout aussi bien écrire une réflexion intimiste (Replay de Ken Greenwood, publié en 1985), une fresque épique (la série Dr Who), un western (Retour vers le Futur III)… En fait, on peut tout écrire, et votre histoire sera immanquablement teintée de nostalgie et de merveilleux, le tout avec cette question en filigrane : « Et si… ? » « Et si je pouvais recommencer, faire d’autres choix ? », « Et si je pouvais prédire l’avenir ? » etc. Je trouve que c’est fascinant !

Le début du XIXe siècle est votre terrain de prédilection. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette période ?

J’aime l’Histoire en général, les Temps Modernes et le XIXe siècle en particulier. Je trouve que c’est un siècle très intéressant, où le vieux monde se confronte au nouveau, où les manières du passé se heurtent aux inventions et aux concepts modernes. Quant au début du XIXe, c’est surtout parce qu’en Angleterre, c’est l’époque à laquelle se déroulent la plupart des adaptations cinématographiques des intrigues de Jane Austen, écrivain que j’adore. En France, c’est une période de bouleversements énormes qui se prête bien aux romans. Quand on y pense, la plupart des fictions prennent place dans des époques tourmentées, non dans des périodes de paix. La Révolution française, la guerre de Sécession américaine, les deux guerres mondiales… Ce sont chaque fois des périodes où les personnages doivent faire des choix, où leur avenir est mis en jeu ! Il faudrait essayer de dresser une carte des périodes traitées dans la fiction, je suis sûre qu’on verrait bien que la Belle époque ou les années 1880 sont assez absents des pages et des écrans !

Récit intime, comédie romantique, science-fiction, histoire…. Est-il est correct de dire que vous aimez mélanger les genres ?

C’est exact, mais ce n’est pas forcément un choix. Je n’aime pas coller à un genre précis ni répondre à une commande d’un éditeur, parce que cela m’offre beaucoup moins de libertés. J’écris ce que j’ai envie d’écrire sans réfléchir à quelle maison va le publier finalement. Parfois ça colle, par exemple la trilogie Palimpsestes peut s’inscrire dans le genre « steampunk » et a été publiée aux éditions du Chat Noir. Parfois, ça ne colle pas, et c’est ce qui s’est passé avec Beveridge manor. Les éditeurs à qui je l’ai envoyé aimaient bien, mais pour l’un le fantastique n’allait pas, pour l’autre ce n’était pas assez historique, pour un troisième il y avait trop de romance… Du coup, j’ai décidé de l’auto-publier. Après neuf romans publiés dans de bonnes maisons d’éditions, je me suis dit que j’avais accumulé assez d’expérience et je pense avoir créé un livre correct, que ce soit sur la forme ou le fond ! J’ai pas mal de succès au tout début avec la foire du livre de Bruxelles, mais évidemment, avec la crise qui a suivi, le roman n’a pas eu de chances ensuite parce que j’espérais surtout le vendre durant les salons littéraires qui ont tous été annulés.

Vous avez mentionné le courant steampunk. Pouvez-vous expliquer en quelques mots de quoi il s’agit ?

Le steampunk est un courant qui touche beaucoup de domaines : arts, mode, graphisme… En littérature, on part du présupposé que l’électricité n’a pas été inventée et que tout fonctionne encore aujourd’hui à la vapeur (« steam » en anglais). Cela donne souvent des univers sépia, des aventures épiques et des enquêtes dans lesquels on retrouve généralement quelques objets ou thèmes récurrents : rouages, cuivre, lunettes d’aviateur ou de cheminots, locomotives, dirigeables, corsets et chapeaux haut-de-forme… En France, Jules Verne, même s’il n’écrit pas du steampunk, est souvent le modèle ! C’est devenu très large et beaucoup d’histoires s’insèrent dans ce courant. Le steampunk était vraiment à la mode dans les années 2010 et commence doucement à s’essouffler, comme tout mouvement de mode qui se fait récupérer par le mainstream !

À côté de vos activités littéraires, vous créez des costumes historiques dont vous partagez des photos sur votre blog. Comment faites-vous pour combiner toutes ces activités créatives avec un emploi salarié ?

J’ai choisi un travail à temps partiel, ce qui me laisse toutes mes matinées de libres. Le matin j’écris ou je crée, et l’après-midi je retrouve le monde réel avec les jeunes que j’aide (je travaille dans une association qui lutte contre le décrochage scolaire). J’ai besoin des deux pour me sentir vivante. Le costume historique est une activité qui me permet de créer du lien social tout en mêlant mes domaines d’activités préférés. Avec mon groupe d’amis, nous nous réunissons tous les mois autour d’un thème différent. Ainsi, à travers le costume, nous mêlons la culture, l’art, la science, l’artisanat…  Nous visitons des musées, jouons du théâtre, dansons dans des bals historiques, allons à la plage, à des concerts, au restaurant… Toutes mes activités (couture, écriture, cinéma, conférences…) sont donc liées par le costume historique et finalement cela crée un univers cohérent.

Quels sont vos projets en cours ?

J’ai un roman en cours avec une amie que je vais terminer, mais honnêtement, avec la crise, j’ai arrêté d’écrire. J’en ai profité pour faire une pause de ce côté-là et faire le point sur ce que j’avais accompli. J’ai publié dix romans et je vais arrêter de courir après le succès comme je l’ai fait depuis 2012 et la sortie de Bordemarge. Le confinement m’a fait réaliser que ce n’était pas forcément l’essentiel dans ma vie, et que je peux raconter des histoires et amuser les gens de bien d’autres manières. Le secteur de l’édition est si durement touché que de toute façon il faudra attendre avant de voir où on en est… Donc pour la première fois de ma vie, je ralentis le rythme, et ça fait du bien !

Le seul projet arrêté pour l’instant est la programmation de deux cinélivres à la bibliothèque de Laeken. Dans le premier, le 2 juillet 2020, je vais parler de Pygmalion de George Bernard Shaw et du film My fair Lady. Dans le second, je parlerai de L’âge de l’innocence, le roman d’Edith Wharton et le film de Scorsese. Pour ce dernier, il n’y a pas encore de date, et j’espère qu’on pourra en trouver une ! Donner des conférences est une activité que j’ai découverte il y a cinq ans maintenant et j’adore vraiment ça. Cela me permet de mêler recherches documentaires, costumes, lien social, cinéma et littérature, et ça prend moins de temps que d’écrire un roman !

Une réflexion sur “Entretien avec Emmanuelle Nuncq sur l’histoire, la fiction… mais aussi la couture et le steampunk !

  1. Cécile dit :

    Sauf que… rien n’indique vraiment que l’auteur inclue le 19e siècle dans les Temps modernes. Si je dis : « j’aime les glaces, fraise et banane en particulier », je ne suis pas en train de dire que les bananes font partie des fraises.

    Quant à dire que les romans de Jane Austen sont du 19e siècle, ce n’est pas dénué de sens du point de vue de l’histoire de la littérature, puisque, même si Austen prend appui sur la production romanesque du 18e (pour s’en moquer), elle se rattache par le style au courant réaliste, caractéristique de la production du 19e.

    Et même d’un pur point de vue historique, il y a des historiens pour dire que le 19e siècle commence en 1789 et se finit en 1914 (le « long 19e siècle »). L’Histoire n’est pas une affaire de mathématiques.

    Du reste, que veut dire 1789 pour un Anglais ? La Révolution française ne définit pas l’Histoire du monde. En Angleterre, et plus encore dans les campagnes, la vie continue pour une bonne part comme avant. L’époque georgienne court jusque 1830 voire après, et le 1er janvier 1801 n’a guère de pertinence historique.

    Tout ça pour dire que ce sont là des distinctions arbitraires qui n’alimenteront jamais que des querelles d’historiens, et il est heureux que les écrivains ne s’y attachent pas trop.

    On pourrait presque dire que le mélange des époques (dont Emmanuelle Nuncq semble d’ailleurs s’être fait une profession) fait partie intégrante du « mythe » Jane Austen, souvent associé, au cinéma comme dans la littérature « austenophile », à la période Régence, alors que là non plus les dates ne correspondent pas vraiment. La littérature et le cinéma ont fait de Jane Austen une figure tutélaire dont les contours dépassent largement ceux – notoirement mal connus – de la personne qui a porté son nom.

    Quoi qu’il en soit, je serais pour ma part encline à plus de bienveillance que vous en me disant que cette romancière, qui lit et aime Jane Austen au moins autant que vous, et a semble-t-il même donné des conférences sur le sujet, est certainement bien au courant des dates auxquelles Jane Austen a écrit ses romans sans qu’on doive le lui rappeler.

    Je lui souhaite en tout cas de ne pas se laisser arrêter par des manifestations d’hostilité comme celle-ci. Libre à vous de ne pas la lire, bien entendu, mais la reprendre sur les détails les plus insignifiants d’un entretien réalisé à brûle-pourpoint, sans même lui accorder une chance, qui plus est en tentant de la descendre publiquement, me semble relever de la malveillance, sinon du règlement de comptes.

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